L'affaire du pourpoint
pour ses filles ou encore que, les enfants ayant une éruption de boutons, on craignait la contagion ! Il eût été facile de me tenir à l’écart. Pourquoi se compliquer la tâche en m’enlevant pour m’enfermer dans un abri à bateau ?
— Alors, pour quelle raison vous a-t-on enlevée ? Pensez-vous que votre mari avait tout arrangé, au fond, et qu’on allait vraiment vous mener jusqu’à lui ?
— Dieu seul le sait, Brockley. Mais je ne puis croire que Matthew ait organisé une telle chose, à moins d’un malentendu. Ses ordres n’auront pas été compris, ou l’un de ses gens aura voulu le contenter en venant me chercher, mais s’y sera pris stupidement… Je ne sais.
Brockley recommença à tirer sur ses rames.
— Quittons ce fleuve glacé. Je suppose que vous allez rapporter l’incident à Sir William Cecil.
— Pas dans l’immédiat, répondis-je. Je veux réfléchir.
— Et Lockhill ? Avez-vous l’intention d’y aller ?
Je pesai le pour et le contre. Au premier abord, l’idée que mon emprisonnement eût quelque chose à voir avec Lockhill semblait invraisemblable, autant que d’imaginer que Matthew en fût l’instigateur. Aucune de ces théories n’avait de sens. Et pourtant… Si les soupçons de Cecil étaient fondés, alors qui pouvait savoir jusqu’où s’étendaient les ramifications de cette mystérieuse conspiration, et combien de gens y étaient impliqués ? Mason n’était peut-être qu’un individu parmi une multitude. Comment deviner ce que ces adversaires invisibles avaient en tête ?
Comment discerner ce qui était possible et ce qui n’était que folles suppositions ?
Je n’avais jamais été du genre à me soucier des avertissements. L’année précédente, j’avais foncé tête baissée vers le danger et, pour mon premier mariage, je m’étais enfuie avec Gerald au grand dam de nos deux familles. J’avais déjà forcé de nombreuses fois le destin…
Pourtant, tandis que nous avancions sur le fleuve dans notre embarcation solitaire et que je me rappelais l’abri isolé et sa porte massive, tout cela me parut une très sinistre mise en garde. Oserais-je l’ignorer ?
Je frissonnai.
— Je ne sais pas si j’irai, répondis-je.
Mais au moment même où je prononçais ces mots, j’eus conscience que je le savais. La décision s’imposait d’elle-même.
CHAPITRE VI
Visions d’ailes
— Nous allons à Lockhill, déclarai-je. Moi, en tout cas. J’ai déjà engagé ma parole et, à moins d’en finir avec cette histoire, je risque d’offenser la reine. Or je tiens à avoir sa permission de me rendre en France au mois de mai. Plus question maintenant de partir avant.
J’avais eu une peur bleue. On s’était servi du nom de Matthew pour m’attirer dans ce guet-apens. Je l’aimais toujours, je me languissais de lui et je ne doutais pas de ses sentiments à mon égard. Quand nous nous retrouverions, nous dissiperions tout malentendu mais, pour l’heure, attendre le printemps semblait inévitable. Je n’étais plus disposée à m’embarquer clandestinement pour rejoindre mon mari. Lorsque je partirais, ce serait au grand jour, la reine me conservant sa faveur.
Hélas, Élisabeth se révélait parfois imprévisible. Mieux valait faire en sorte de rester dans ses bonnes grâces. Dale et Brockley le savaient aussi. Ils m’écoutèrent en silence et acquiescèrent avec sagacité.
Nous étions réunis dans le logis de Brockley. Comme toujours quand je m’y trouvais, on m’avait octroyé le meilleur siège, un tabouret agrémenté d’un coussin que Dale avait brodé de façon charmante. Ma femme de chambre eût de loin préféré employer son temps à des travaux d’aiguille plutôt qu’à voyager dans le Berkshire pour démasquer des conspirateurs.
Brockley et elle étaient assis côte à côte sur le lit, qui faisait aussi office de banquette. La chambre était minuscule, quoique assez confortable, avec une petite cheminée et une descente de lit en peau de mouton.
Dale hasarda une objection :
— Mais après ce qui vient de se passer…
— Je doute que cela ait un lien avec Lockhill, répondis-je. Si je relatais cette mésaventure à Cecil, il pourrait décider d’annuler ma mission, ce que je ne souhaite pas. Et puis d’ailleurs, je me vois mal lui dire que j’avais un rendez-vous secret avec un hors-la-loi, même s’il s’agit de mon mari. Cecil devinerait que je comptais m’enfuir avec lui.
— Vous
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