L'affaire du pourpoint
voulez toujours aller en France en mai ? me demanda Brockley.
— Oui, mais Lockhill passe en premier. Toute cette affaire de complot pourrait n’être qu’une erreur. Dans ce cas, je tâcherai d’éclaircir la situation et, ainsi, d’aider Ann Mason. Je l’aimais beaucoup.
— Il est vrai que, d’après mes souvenirs, cette maison ne ressemblait guère à un nid d’espions, convint-il.
— Parbleu ! Je l’espère bien, ne serait-ce que pour Ann.
Brockley m’observait. Ses traits bien dessinés, avec un grand front incliné en arrière et une mâchoire volontaire, demeuraient sans expression. Je le connaissais assez, toutefois, pour lire dans ses yeux. Comme je m’y attendais, je vis la réprobation suscitée par mon langage vigoureux, puis le début d’un consentement réticent.
— Je comprends, madame. À votre place, je ressentirais la même chose. Néanmoins, je souhaiterais que vous refusiez.
— Cela m’est impossible.
— Alors, qu’il en soit ainsi ! Nous viendrons. Quelqu’un doit veiller sur vous.
— Cecil m’a exhortée à la prudence. Mais, après tout, il ne m’envoie pas à l’autre bout du monde connu, seule et sans soutien, dans l’antre du dragon !
Le secrétaire d’État m’offrait surtout une belle rétribution pour aller à Lockhill, quels que soient les résultats. Si je restais en Angleterre jusqu’en mai, je devrais avoir de quoi payer Dale et Brockley, ainsi que Bridget, la nourrice de Meg, dont les gages restaient à ma charge. L’or possède d’étonnantes vertus : les doutes et les appréhensions s’y dissolvent de la manière la plus remarquable.
— Ne cherchez pas à savoir qui a occis Dawson, m’avait recommandé Cecil. Restez en alerte, observez tout ce qui semble étrange ou inhabituel. Notez les coïncidences surprenantes et consignez le nom des hôtes ou des visiteurs de Leonard Mason. Mais, avant tout, votre mission est d’entrer dans son bureau et de consulter ses papiers. Ouvrez les coffrets où il range ses documents. Pensez-vous pouvoir réussir ?
— Je l’espère, Sir William.
— Tout est arrangé afin que vous soyez escortée jusqu’à Lockhill. Rob Henderson et deux de ses hommes vous protégeront sur la route. Je préfère d’ordinaire la discrétion, néanmoins Rob connaît votre mission. Au cas où vous auriez besoin d’aide, il faut que vous puissiez en trouver même si je suis appelé au loin par les affaires de la reine. On peut se fier à Rob.
Je l’avais remercié avec une gratitude sincère. Et désormais, ayant persuadé Dale et Brockley de venir aussi, je me préparais, selon mes propres termes, à en finir avec cette histoire.
J’écrivis à Matthew, finalement, le remerciant de m’avoir pardonnée ; je l’assurai de mon amour et lui annonçai ma venue en mai, expliquant que la reine ne me libérerait pas avant. Comme promis, Cecil me procura un messager. Avec l’aide de Dale, je cousis des poches à l’intérieur de toutes mes jupes afin d’y conserver mes crochets, une petite ardoise et une craie pour prendre des notes. Je serais en outre armée d’une dague. La jupe à ouverture sur le devant est une mode élégante qui, pour ma très grande satisfaction, n’a jamais passé. De mon point de vue, elle est pratique au plus haut point.
La cour se préparait à s’installer à Richmond et l’on m’informa officiellement de mon congé. Je me rendis donc à Thamesbank pour dire au revoir à Meg et rejoindre Rob Henderson.
Les Henderson étaient de braves gens. Âgé d’une trentaine d’années, Rob était un grand et joyeux gaillard aux cheveux filasse, qui portait un amour attendrissant à sa femme Mattie. Cette dernière, gracieuse et boulotte, s’efforçait toujours de se conduire selon la bienséance, mais était encline à d’incontrôlables fous rires. Je m’étais prise d’affection pour eux et je me réjouissais d’avoir Rob pour compagnon de voyage.
Je passai deux nuits à Thamesbank. Je jouai avec ma petite Meg aux cheveux sombres, j’admirai les progrès qu’elle avait accomplis dans ses leçons et j’appris avec joie qu’elle montrait une aptitude précoce pour l’épinette et la lyre.
Tôt le second matin, je l’embrassai bien fort et nous nous mîmes en route. Rob était d’une élégance nonchalante en velours vert, avec un chapeau assorti orné d’une plume de crécerelle. Il portait aussi une épée. Ses hommes et lui avaient tous de larges carrures
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