L'affaire du pourpoint
fois les autres me lancèrent des regards intrigués, et je savais que mon exaltation secrète transparaissait sur mon visage.
Je revins un peu sur terre en discutant avec Brockley, qui marqua sa surprise que je ne puisse emmener mes serviteurs.
— Un gentilhomme tel que messire de la Roche, madame, tient d’habitude à ce que son épouse soit entourée comme il convient. Je viendrai au moins m’assurer que vous arriviez saine et sauve auprès de lui. À dire vrai, je regrette qu’il ne précise pas où il se trouve.
— Il ne le pouvait pas. Si la lettre s’égarait et était lue par des gens malintentionnés ?
— Qui l’a apportée, madame ? Vous en êtes-vous enquise ?
J’en avais pris la précaution, sans grand résultat.
— Un jeune homme de taille moyenne, ce sont les seuls détails qu’a pu me donner le portier. Ce n’était pas Matthew, en tout cas. Il est très grand !
Je fus heureuse de me réfugier dans mon lit, cette nuit-là, bien que le sommeil me fuît pendant des heures. À mon réveil le lendemain, le temps était froid et gris, mais sec, et rien ne s’opposait à mon départ, si ce n’est que mes entrailles se serrèrent soudain de nervosité et que je dus aller trois fois aux lieux d’aisances. Je craignais de ne pas arriver à la porte du fleuve pour huit heures, et je ne savais combien de temps le bateau de Matthew m’attendrait. Pour finir, j’eus quelques minutes de retard, mais la barque était là, avec un rameur solitaire emmitouflé dans ses vêtements. Je dépassai bien vite le garde et descendis l’embarcadère. Dale me suivait avec mon paquet et Brockley marchait à grands pas près de moi. Le batelier nous vit et mit pied à terre.
— Dame de la Roche ?
— Oui. Et vous êtes… ?
— Une connaissance de votre époux. J’ai ordre de n’emmener que vous, madame, dit-il après un rapide coup d’œil vers Dale et vers Brockley. Personne d’autre.
— J’accompagne dame Blanch… de la Roche jusqu’à ce qu’elle soit avec son époux, répliqua Brockley. Alors je m’en irai.
— Désolé, messire, mais mes ordres sont stricts. Nul ne doit savoir où se trouve messire de la Roche. Je dois lui amener sa femme et personne d’autre. Voulez-vous monter dans le bateau, madame ?
— Vous, écoutez-moi… ! commença Brockley, mais je l’interrompis.
— Tout va bien. Je vais retrouver Matthew. Combien de temps nous faudra-t-il pour le rejoindre ? demandai-je au batelier. Cela, au moins, vous pouvez me le dire ?
— Pas longtemps, peut-être une demi-heure, en remontant le fleuve.
— Fort bien. Je veux y aller, déclarai-je à mes serviteurs. Venez en France dès que vous le pourrez. Je dois disparaître.
Je pris mon paquet et embrassai Dale, puis j’étreignis la main de Brockley et assurai :
— Nous serons très vite à nouveau réunis.
Je voyais certes qu’il fulminait et aurait voulu me retenir de force mais, bien sûr, il n’en fit rien. Je leur souris et montai à bord, aidée par le batelier.
Je m’assis, mon paquet sur les genoux. Le batelier embarqua à son tour, libéra l’amarre et prit ses rames. Nous nous éloignâmes du ponton. J’adressai des signes joyeux en direction de Dale et de Brockley, puis nous arrivâmes au milieu du courant et virâmes vers Richmond, en amont. Je tournai la tête vers la rive, mais mes compagnons avaient disparu.
De l’instant où j’avais trouvé la lettre, j’avais agi rapidement, brûlant d’impatience et comptant les heures. Pour la première fois, je me voyais réduite à l’inactivité, au milieu du fleuve sombre et glacé, seule avec l’inconnu qui avait interdit à Brockley de venir. Ce fut alors, à la seconde précise où il était trop tard, que je sentis naître une appréhension.
Avec le recul, je pense que je nourrissais déjà des soupçons, mais que je refusais d’y prendre garde. Quelque chose me tracassait dans cette écriture irrégulière, mais je voulais tellement être auprès de Matthew que j’avais étouffé mes doutes avec autant de soin que mon batelier s’était emmitouflé.
Celui-ci semblait doté d’une carrure puissante, néanmoins on n’aurait pu en jurer, tant sa personne disparaissait sous les vêtements : manteau, bottes, chapeau et une écharpe bleu foncé couvrant le bas du visage. Même par ce temps, une telle tenue devait être beaucoup trop chaude pour ramer ; elle le gênait dans ses mouvements. Je lançai une remarque à
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