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L'affaire du pourpoint

L'affaire du pourpoint

Titel: L'affaire du pourpoint Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Fiona Buckley
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ce propos, d’un ton plaisant, mais il se borna à répondre d’un grognement et continua à souquer.
    Le temps passait. Mon rameur n’était, à l’évidence, pas du genre loquace. Tout en contemplant les eaux sombres ondoyant sous une brise capricieuse, et les pâturages déserts qui formaient les rives, je songeai : « Je voyage vers l’inconnu. » La Tamise était pareille au Styx, le fleuve que, selon la légende grecque, les morts doivent traverser pour atteindre l’au-delà. Charon le passeur eût été incarné à merveille par mon compagnon taciturne et anonyme. Si taciturne et anonyme qu’il me mettait mal à l’aise.
    — Nous avançons sûrement depuis plus d’une demi-heure, remarquai-je.
    — Nous sommes presque arrivés.
    Je lui avais arraché une phrase entière, cette fois. Il regarda, par-dessus son épaule, vers un promontoire herbu sur la rive nord et changea de cap. Au-delà, on distinguait des signes d’habitation : une maison en retrait, et plusieurs abris à bateaux au bord de l’eau. Nous nous dirigions vers eux. Un moment plus tard, nous nous rangions contre un débarcadère et mon escorte jetait l’amarre autour d’un pieu.
    — Nous y voici, madame. Descendez.
    Il me tendit la main. L’abri le plus proche, et l’un des plus grands, était complètement fermé. On ne voyait pas âme qui vive. Néanmoins, mon Charon me précéda sur l’allée en bois qui conduisait à l’entrée située vers l’intérieur des terres. J’observai la porte avec inquiétude. Bien qu’elle eût autrefois été munie d’un loquet, celui-ci avait été ôté à la hache et l’on avait cloué à la place une planche de bois. Deux solides verrous étaient fixés en haut et en bas. Le batelier les tira.
    — Entrez là-dedans, madame.
    Je scrutai les champs ; l’unique maison était bien loin… Le lieu semblait désolé, et je ne voyais toujours personne dans les parages. Devant ma réticence, Charon me saisit par le bras et me poussa avec rudesse. Je me retrouvai à l’intérieur, à mon corps défendant.
    — Attention à la marche ! lança-t-il.
    L’avertissement était nécessaire, car l’intérieur était enténébré, avec juste un étroit passage sur les côtés. Le reste n’était que de l’eau, sur laquelle flottait une barge de belle taille. J’hésitai, essayant encore de résister, mais Charon me poussa le temps de faire quelques pas, puis s’arrêta au-dessus d’une échelle qui conduisait à la barge.
    — Allez-y. Vous vous sentirez plus en sécurité, là-dedans. Je ne viendrai pas avec vous. Tournez-vous et descendez à reculons. Allez !
    Ses manières avaient changé, c’était incontestable. Elles n’exprimaient plus nul respect. Saisie de terreur à présent, je me contorsionnai afin de le regarder.
    — Où est Matthew de la Roche ?
    — Vous allez le voir, pour sûr. Descendez-moi cette échelle. Allez-y, maintenant. Pas de raison d’avoir peur.
    J’en avais une. Charon. J’observai son visage masqué par l’écharpe à partir du nez, ses yeux presque dissimulés par son couvre-chef, et ma seule envie fut de reculer. Craignant soudain qu’il ne me soulève et ne me jette à l’eau plutôt que dans la barge, j’acceptai d’emprunter l’échelle, seul autre choix qui s’offrait à moi. Je descendis en arrière et me tins sur le bateau, levant la tête vers lui.
    — Mais où est donc Matthew ? Il n’est pas…
    L’espace d’un instant, prise de panique, j’eus l’idée que Matthew était mort, qu’on m’infligeait une plaisanterie ignoble en m’amenant là pour voir sa dépouille, mais la barge à fond plat ne recelait pas de telles horreurs. Un coup d’œil rapide alentour me montra qu’à la place, elle était pourvue d’un brasero, d’un briquet d’amadou et de couvertures.
    — Non, répondit Charon au-dessus de moi, me devinant à demi-mot. Il vit. Ne vous inquiétez pas pour ça. Vous êtes entre de bonnes mains. Personne ne vous fera de mal. Pour ma part, j’aurais préféré vous assommer et vous jeter dans le fleuve, mais la décision ne m’appartient pas.
    — Quoi ?
    — Vous avez ce qu’il faut pour vous réchauffer, et vous trouverez des vivres et de l’eau dans le coffre, sous la banquette derrière vous. Installez-vous bien jusqu’à ce qu’on vienne vous chercher.
    Il s’éloigna vers la porte. Aussi outrée qu’inquiète, je bredouillai des protestations auxquelles il ne prêta aucune attention.

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