L'affaire du pourpoint
Fran et moi ne devions pas venir avec vous. Quelle importance, si nous formions un groupe nombreux ? Les gens voyagent ordinairement ainsi. Et quand votre batelier a même refusé que je vous escorte jusqu’à votre époux !… Eh bien, les serviteurs du palais disposent de canots ; j’en emprunte un de temps en temps et les gardes me connaissent. J’avais déjà mon épée sous mon manteau. Je me suis procuré une embarcation et j’ai ramé après vous, comme un fou. J’avais perdu quelques minutes et vous étiez déjà loin, mais j’ai de bons yeux et je vous ai distingués après la première courbe du fleuve. Je vous ai suivis jusqu’ici. Je vous ai vus mettre pied à terre et faire le tour de cet abri à bateau, mais alors que je m’employais à l’atteindre, le monceau de vêtements qui vous tenait lieu de guide est remonté dans sa barque et est revenu vers moi. J’espérais qu’il vous laissait avec messire de la Roche, mais cela me semblait un drôle de lieu pour un rendez-vous. Je craignais pour vous.
— Pas autant que moi.
— Je ne voulais pas qu’il me reconnaisse, poursuivit Brockley. Je me suis rapproché de la berge afin de le laisser passer et j’ai attendu qu’il soit bien loin. J’allais contre la marée et ce n’était pas facile, surtout à la fin, d’accéder au débarcadère. J’ai cru que je n’y arriverais jamais. Maintenant, madame, que s’est-il passé ? Votre époux n’a pas donné signe de vie, je suppose ?
— Non. On voulait me garder recluse, mais j’ignore pourquoi. Cet homme a dit que je devais patienter jusqu’à ce qu’on vînt me chercher et qu’on me conduirait à Matthew, mais je n’en croyais pas un mot. Voilà tout ce que je sais.
— Vous n’avez pas la moindre idée de qui c’était ?
— Il m’a semblé qu’il prenait toutes ses précautions afin de ne pouvoir être identifié !
Brockley fronça les sourcils en tirant sur les rames, puis constata :
— Quel qu’il soit, il connaissait votre mariage avec messire de la Roche et votre désir de le retrouver. Dites-moi, madame, cette lettre où votre mari vous invitait à le rejoindre, pensez-vous qu’elle était de sa main ?
— Je me le demande.
Je la conservais sur moi, dans une poche. Cherchant sous mon manteau, je tirai le message et le contemplai.
— Mon nom à l’extérieur paraît assez convaincant, mais le message lui-même… Ma foi, ce pourrait être l’écriture de Matthew s’il était très pressé, aussi bien qu’une imitation. Le sceau n’est pas tout à fait normal non plus. À mon avis, c’est un faux.
— Je me demande, dit Brockley, pensif, si celui qui vous l’a envoyé savait aussi pour quelle raison vous vous rendiez à Lockhill. Le nom de votre époux ferait un parfait appât, si l’on voulait s’assurer que vous n’y allez pas.
— Mais comment serait-ce possible ? Très peu de gens sont informés de mon remariage, et moins encore de mon désir d’aller en France. Bien sûr, mon séjour prochain chez les Mason n’est pas un secret, mais mon réel dessein a été dissimulé avec soin.
Brockley se reposa sur ses rames, laissant le canot avancer au gré du courant.
— Ma foi, une chose est sûre : ni Fran ni moi n’avons commis d’indiscrétion. Lorsque j’ai entendu évoquer cette lettre, qui a éveillé mes soupçons, je lui ai demandé si elle avait parlé à quiconque de vos affaires et elle m’a assuré que non. Je la crois. Fran ne me ment jamais.
Je hochai la tête. Brockley n’était pas le genre d’homme à qui il était facile d’en faire accroire. Un je-ne-sais-quoi, dans ce regard calme et pénétrant, donnait l’impression de lire dans vos pensées.
— Elle n’aurait pas pu me regarder en face et se serait mise à pleurer. Mais elle m’a fixé droit dans les yeux et a répliqué que c’était une insinuation honteuse. Je connais ma Fran. Elle n’a pas parlé, et ce n’est certes pas moi.
— J’en suis sûre. Vous êtes l’un et l’autre d’une remarquable discrétion.
— C’est donc quelqu’un d’autre, conclut Brockley. Pourrait-il s’agir d’un membre de la maison de Sir William Cecil ?
— C’est ridicule ! protestai-je. Leonard Mason est maître chez lui ! S’il avait entendu sur mon compte quelque chose qui rende ma présence indésirable à Lockhill, il lui suffisait d’écrire pour dire que cette solution ne lui convenait pas, qu’il prenait d’autres dispositions
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