L'affaire du pourpoint
que même des manteaux d’hiver ne pouvaient dissimuler. Formant une telle compagnie, nous ne risquions pas d’être attaqués par des bandits de grand chemin.
Quel dommage, pensai-je en montant en selle, que pour quelque obscure raison Brockley eût choisi de gâcher l’allure de cette cavalcade par son apparence extravagante ! Ses habits semblaient démesurés. Son chapeau était énorme, et quand il tint ma jument, Étoile, afin que je mette le pied à l’étrier, je remarquai son pourpoint, anormalement large à la poitrine.
Il s’aperçut que je l’observais et m’adressa un de ses rares sourires. Puis il souleva son chapeau comme pour se gratter la tête, le réajusta après que j’eus pu voir au-dessous et défit un bouton de son pourpoint.
— Un casque et un plastron de cuirasse ? chuchotai-je.
— Et mon épée.
Il repoussa sa cape en arrière pour révéler que lui aussi voyageait bien armé.
— Des souvenirs du temps où j’étais soldat. Nous pourrions rencontrer du danger.
— J’espère que tout cela n’aura été que beaucoup de bruit pour rien.
— N’est-ce pas un vœu pieux, madame ?
— Je veux y croire ! répliquai-je.
J’essayais de me rassurer car, dorénavant, je ne pouvais reculer. Une belle rétribution n’était pas, tout compte fait, un total antidote à la peur, mais mieux valait ignorer la crispation passagère qui me tenaillait les entrailles. Je fis donc bonne contenance et tâchai de ne pas trop penser à Matthew. La besogne qui m’attendait requérait de la concentration.
Rob, qui était musicien, nous encouragea à chanter, et j’unis ma voix aux autres. Nous traversâmes au trot les champs et les prés qui entourent Maidenhead, plat paysage assoupi par l’hiver, et nos chansons continuelles me réconfortèrent.
Sur le pont de la ville, nous entamâmes un rondeau populaire reprenant les cris des marchands de Londres. Rob entonna le couplet du ramoneur ; ses deux hommes, bien que traînant un cheval de bât indolent, trouvèrent néanmoins l’énergie de vendre, l’un, des tourtes au mouton, l’autre, des pièges à souris, avec des mimiques hilarantes. J’interprétai la marchande de fraises, Dale lança mélodieusement l’appel du laitier et Brockley, doté d’une fort belle voix, joua le troubadour. C’est ainsi que, dans une harmonie bruyante, nous arrivâmes à l’enseigne du Lévrier, où nous fîmes halte pour la nuit.
Le lendemain, nous reprîmes la route sous un pâle soleil et parvînmes à Lockhill dans la matinée.
Le village était tel que dans mes souvenirs : une douzaine de modestes chaumines et deux maisons à peine plus grandes, dont l’une était un presbytère attaché à sa minuscule église ; une brasserie et un puits ; une forge semblable à une grotte.
Au bout du village, nous gravîmes un sentier bordé de champs cultivés en bandes à l’ancienne manière. Leonard Mason s’intéressait peu à l’agriculture, aussi ne m’étonnai-je pas que les passages entre les bandes eussent besoin d’être sarclés et que le fossé fût envahi d’herbe dure et de broussailles.
Le sentier aboutissait à un portail, ouvert et non gardé. Nous entrâmes directement dans la cour.
Le manoir de Lockhill était attrayant avec ses pierres patinées, son large porche et sa tourelle à une extrémité. En dépit de ses fenêtres à meneaux et de ses cheminées ornementales, il datait d’un siècle plus tôt, du temps où un manoir devait pouvoir soutenir un siège, et où l’on n’eût pas songé à en construire sans remparts. Les murs et la tour de Lockhill étaient crénelés.
Cependant, nous eûmes peu le loisir de les admirer, car, tout comme à ma précédente visite, nous fûmes assaillis par les aboiements tonitruants d’un mastiff enchaîné. Le même majordome trapu accourut et hurla sur le chien qui, pour ne pas changer, continua de plus belle. Rob expliqua à tue-tête qu’il escortait dame Ursula Blanchard, attendue en cette demeure.
Le majordome calma enfin le molosse et, celui-ci cessant d’aboyer, nous perçûmes des voix. Ann Mason apparut sur le perron, un bébé dans les bras, avec cinq enfants fort surexcités. Les membres de la famille Mason nous entourèrent, parlant tous en même temps.
— Vous voici donc ! Je suis ravie que vous soyez de retour. Quelle longue chevauchée, à cette époque de l’année !…
— Êtes-vous Mrs. Blanchard, qui va nous enseigner la danse et
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