L'affaire du pourpoint

guerre était en cours.
    — Franchement, dame Blanchard ne devrait pas retourner à Lockhill, déclara Rob. C’est trop dangereux. Elle éveille des soupçons, or Paul Fenn a été assassiné.
    — Il s’agissait peut-être d’un accident, suggérai-je.
    — La mort de Jackdaw aurait pu être accidentelle, mais qu’une autre lui succède… Non.
    — Sur ce point, je suis d’accord, dit Élisabeth. Il serait imprudent de supposer le contraire.
    Elle était installée dans un fauteuil imposant, une couverture de fourrure sur les genoux. Ses yeux brun doré étaient graves.
    Élisabeth et moi étions liées d’étrange manière. De même que j’étais sa dame d’honneur, ma mère avait été jadis celle de sa mère. Jusqu’au jour où la malheureuse avait été renvoyée chez elle, en disgrâce, engrossée par un gentilhomme qu’elle refusait de nommer. Elle trouva refuge au manoir familial et me donna le jour, à moi, l’embarrassante bâtarde. À la mort de ses parents, ma mère demeura auprès de son frère et de sa belle-sœur. Je grandis avec mes cousins, éduquée, soit, mais privée de dot. On m’enseignait que mon destin serait de rester vieille fille et de servir les miens.
    J’avais coupé court à ces projets en tombant amoureuse de Gerald Blanchard, promis à ma cousine Mary, et en me faisant aimer de lui. Nous avions fui ensemble et trouvé refuge chez ses amis, à Guildford, où nous nous étions unis.
    Malgré la fureur de nos familles, nous étions heureux et je savais que ma mère, eût-elle été vivante, se serait réjouie pour moi. Elle m’avait toujours protégée de son mieux et je savais aussi, à certaines allusions des Cecil et à la faveur que me témoignait Élisabeth, qu’elle avait servi la reine Ann avec bonté et dévouement.
    C’est qu’une longue tradition de service royal se transmettait dans la famille Faldene, aux racines si profondes qu’elle s’apparentait à un instinct. Je le possédais moi aussi. Je me sentais comme la corde lors d’une épreuve de force, Élisabeth tirant d’un côté, Matthew de l’autre.
    Cecil reprit la parole :
    — Je ne doute pas que Fenn ait été tué et qu’il était impliqué dans le mystère que nous tentons de percer. Voyant que je me renseignais sur son compte, il a cherché conseil auprès de ceux qui l’employaient, et ceux-ci ont jugé qu’il devenait gênant. Menaçait-il d’implorer ma clémence ? Quoi qu’il en soit, ils se sont débarrassés de lui.
    — A-t-on une idée de l’endroit où il s’est réfugié ? m’enquis-je. En tout cas, ce n’était pas à Lockhill.
    — Non, et ce n’était pas non plus dans la demeure ancestrale du Sussex, dont son frère a hérité, ni à High Wycombe, où le Dr Wilkins vit la plupart du temps. Rob vous a-t-il dit qu’on les avait vus ensemble ? Nous avons lancé des agents sur ces deux pistes sans perdre de temps : l’un s’est fait passer pour un dentiste itinérant, égaré en chemin et cherchant asile au manoir du Sussex, l’autre pour un père tenant à visiter l’école de Wilkins avant une éventuelle inscription. À leur retour, chacun d’eux était aussi sûr qu’on pouvait l’être que Fenn ne s’y trouvait pas. Cependant, nous savons qu’un passeur a emmené en aval un jeune homme répondant à la description de Fenn, le matin de sa disparition. Il l’a débarqué, à ma grande surprise, près d’un abri que je loue durant l’hiver pour ma barge. Fenn en connaissait l’existence.
    — Ah ! m’exclamai-je.
    — Je me suis rendu sur place, continua Cecil. On s’était introduit dans l’abri, quoique je ne puisse affirmer si c’était Fenn, préparant sa fuite en cas de nécessité, ou une tierce personne, dans un dessein inconnu. C’est très étrange. On a découpé le loquet d’une des portes et cloué une planche sur l’ouverture, en fixant deux verrous neufs à l’extérieur. Aucun de mes maîtres d’équipage n’a pu l’expliquer, et ils n’en avaient certes pas donné l’ordre. Le canot avait disparu. Fenn pourrait fort bien l’avoir pris.
    — Incroyable… murmurai-je.
    La voix de Meg, appelant les autres, me parvint à travers la fenêtre, et je parcourus le bureau des yeux, heureuse de me trouver en un lieu sûr et accueillant.
    — Il me semble, dit Cecil, que nous possédons maintenant assez d’informations pour justifier une enquête officielle à Lockhill. Leonard Mason sera arrêté et interrogé.