L'affaire du pourpoint
qu’élucider ce mystère me mènerait à de nouveaux indices, tel un fil qui, une fois tiré, permet de démêler tout l’écheveau. Hélas, je n’étais guère plus avancée.
Je me perdais encore en vaines spéculations quand Henderson et Brockley, qui se tenaient à la proue, poussèrent de vives exclamations. Dale ne broncha pas, mais je sortis voir ce qui se passait.
Le temps s’éclaircissait. Le vent s’était levé et dissipait le brouillard, qui s’éloignait en tourbillonnant sous un soleil blafard. Toutefois, les exclamations que j’avais entendues n’avaient aucun rapport avec le temps. Brockley se penchait à bâbord, et Henderson, ramassant une gaffe, ordonnait aux rameurs de changer de cap.
— Qu’y a-t-il ? demandai-je.
Brockley tendit le doigt. Me penchant à côté de lui, je distinguai une masse dans le sillage de notre barge. Une étoffe pâle, comme du drap trempé, puis des algues – non, des cheveux ; puis, à ma profonde horreur, un visage à la blancheur verdâtre. Un cadavre, encore vêtu d’une chemise et de hauts-de-chausses. L’air emprisonné dans les vêtements l’avait maintenu à la surface.
La barge vira et Henderson allongea la gaffe, qui se prit dans l’étoffe. Brockley en avait trouvé une autre et se penchait près de Rob. Il me dit d’un ton brusque de regagner la cabine, mais je me contentai de m’écarter lorsque le maître d’équipage vint leur prêter main-forte. La ligne de flottaison était basse et le marin avait de longs bras. Il se courba au-dessus du plat-bord et, pendant que les gaffes immobilisaient le corps, il l’agrippa et tira. La macabre découverte fut hissée, ruisselante, sur le pont.
Le jeune homme gisait sur le dos, fixant de ses yeux aveugles les vapeurs du brouillard et le soleil timide. Je réprimai un haut-le-cœur. Malgré le crâne fracassé, les traits étaient encore reconnaissables.
— Mais c’est… C’est… balbutia Rob, à court de mots.
J’avais entrevu son visage dans l’eau, c’est pourquoi, au lieu de rentrer dans la cabine, j’avais attendu, réprimant ma nausée. J’avais reconnu les dents, des dents splendides, même si celles de devant chevauchaient un peu. Au lieu de se révéler en un sourire charmeur, elles étaient dénudées par les lèvres retroussées. Et je sus qu’une fois secs, les cheveux du malheureux seraient blonds et épais.
— C’est le jeune noble qu’employait Sir William Cecil, dis-je. Celui qui avait disparu.
— Oui, confirma Rob d’un air sombre. Paul Fenn.
CHAPITRE XI
Conseil de guerre
Le lendemain, Sa Majesté la reine se mit en tête de s’envelopper de fourrures, de voyager par le fleuve de Richmond à Hampton et de rendre visite, accompagnée par son bon ami le secrétaire d’État, à ses loyaux sujets, Rob et Mattie Henderson de Thamesbank.
La visite avait été arrangée, bien sûr, quoique en toute hâte. Après environ une heure de discussion informelle, la reine et Sir William se retirèrent avec Rob dans le bureau, pour causer tranquillement. Je fus invitée à me joindre à eux.
— Ma chère Ursula ! s’exclama Élisabeth. Quel plaisir de trouver ici une de nos dames d’honneur ! Vous resterez à nos côtés.
À la différence de l’antre de Leonard, le bureau de Rob était chaleureux et coloré, avec des rideaux de velours écarlate et des tapis chamarrés.
Cette pièce aux proportions généreuses s’accordait avec le reste de Thamesbank. La demeure était assez récente et bâtie dans le style moderne : le bas des murs en brique, le haut en plâtre blanc et colombages noirs. Le jardin surtout était un ravissement ; ses pelouses et ses cerisiers, son sentier bordé de tilleuls et ses parterres fleuris formaient un charmant désordre. Les ifs, taillés en forme d’oiseaux et très espacés, ponctuaient gaiement le décor. Le résultat était ornemental mais jamais oppressant, contrairement au jardin de Lockhill, avec ses sombres feuillages et sa demi-pénombre.
Du côté du fleuve, un large talus herbeux, taillé comme les pelouses (les jardiniers devaient être aussi habiles que Chronos avec sa faucille), s’étendait jusqu’à la Tamise, coupé par un chemin menant à la jetée. De la fenêtre du bureau, on voyait les petits Henderson jouer sur l’herbe avec Meg et les nourrices, profitant d’un rayon de soleil hivernal. Leurs rires nous parvenaient.
En revanche, personne ne riait dans le bureau, où un conseil de
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