L'affaire du pourpoint
mission. Je ne puis promettre que je n’attraperai pas la vérole, comme Gerald, ou la peste. Nul n’est à l’abri d’une épidémie.
Des paroles courageuses. Au fond de moi, je tremblais à l’idée de retourner à Lockhill. Le désir d’abandonner ce mode de vie périlleux et contre nature pour retrouver Matthew était presque insupportable.
J’avais dit que j’irais à cause d’un phénomène intime que j’appelais la petite voix froide. L’année précédente, j’avais pris des décisions amères parce que cette voix intérieure me disait que la sécurité d’un royaume passait avant des considérations plus humaines et plus tendres, mais d’ordre privé. Durant notre conseil de guerre, elle s’était à nouveau fait entendre, me glissant que ma peur de mourir, mon amour pour Matthew devaient s’effacer devant des intérêts supérieurs. Peut-être Élisabeth me laissait-elle faire parce qu’elle aussi avait sa propre petite voix froide.
Néanmoins, la décision me coûtait. Depuis l’adolescence, dans les moments d’épreuve, j’étais affligée de violents maux de tête qui me vidaient de mes forces. Le lendemain du jour où j’avais rédigé mes dernières volontés, je m’éveillai brisée par la souffrance, un étau enserrant ma tête qu’une masse martelait au-dessus de mon œil gauche.
Je restai couchée tout le jour dans la chambre, rideaux tirés, et vers le soir je vomis à plusieurs reprises. La douleur s’estompa un peu et je dormis, mais au matin le cycle infernal avait recommencé.
À trois heures de l’après-midi, je vomis à nouveau, douloureusement, car les muscles de mon estomac me faisaient mal et je n’avais plus rien à rendre que de la bile. Après cela, je recouvrai mes forces. Durant ces longues heures de souffrance, au fond de moi, une bataille avait été livrée et remportée.
Le lendemain, j’embrassais ma Meg chérie et je repartais pour Lockhill.
CHAPITRE XII
Variations à l’épinette
J’arrivai au manoir le mercredi 5 mars. Le temps avait changé, plus doux et ensoleillé avec une brise légère, ce qui me rendit un peu courage. J’en avais grand besoin, car Dale et Brockley me causaient du souci. Je ne leur avais jamais parlé de Dawson, cependant ils étaient à bord lorsqu’on avait repêché le cadavre de Fenn. Ils se doutaient qu’il avait été assassiné et que cela avait un rapport avec Lockhill. S’ajoutant à la tentative d’enlèvement, cela accentuait leur réticence. Ils m’obéissaient, mais non sans protester.
D’étranges changements étaient survenus en notre absence. Le sommet de la tour s’ornait à présent d’une structure extraordinaire, semblable à un énorme H majuscule. Elle mesurait au moins trois fois la hauteur d’un homme ; une planche, d’où pendaient des longueurs de corde, se calait sur la barre transversale. George et Philip, nous accueillant dans la cour, annoncèrent que c’était la catapulte grâce à laquelle leur père espérait donner à son nouvel engin un élan suffisant pour rester dans les airs. La machine volante était presque finie.
— Mère est très inquiète, nous apprit Philip.
— Père, lui, est enchanté, déclara George. Il ne pensait pas pouvoir l’assembler aussi vite, mais notre ancien maître de musique l’a aidé. Il s’intéresse à toutes ces choses. Le voilà !
— George ! Philip !
Un petit homme affairé, en pourpoint de velours ambre, apparut sur le perron.
— Le Dr Crichton se demande où vous êtes !
Il avait la voix fluette et, tandis qu’il approchait, je remarquai le visage insignifiant, au nez camus.
— Mrs. Blanchard, annonça George, voici Mr. Mew, qui nous enseignait la musique et vient encore nous voir parfois. Mr. Mew, voici Mrs. Blanchard, qui séjourne chez nous et aide mes sœurs à leurs travaux d’aiguille. Elle vient de se rendre auprès de sa petite fille. L’avez-vous trouvée en bonne santé, Mrs. Blanchard ? Vous vous inquiétiez pour elle.
— Oui, comme beaucoup de parents, je m’inquiète parfois sans raison ! répondis-je, faisant signe à Brockley d’emmener les chevaux. Meg se porte comme un charme. J’ai passé quelques journées bien agréables avec elle. Bonjour, Mr. Mew. Mr. Barnabas Mew ?
Je l’avais à demi reconnu avant que George n’entreprenne les présentations. Je lui tendis la main en souriant, dissimulant ma surprise. Je ne savais comment interpréter sa présence. Était-ce
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