L'affaire du pourpoint
prendre garde.
L’intérieur était équipé d’un établi le long du mur du fond, d’un petit fourneau en brique et d’un brasero. Sur le côté étaient empilés des lattes et des morceaux de bois ; un seau contenait une eau assez limpide, et un vieux récipient rouillé, une substance d’où émanait une odeur de glu. Une cruche en terre cuite et une bassine étaient posées sur l’établi, près de dessins, de divers outils et de deux grosses cuillers. Une fenêtre à vitraux, à l’arrière de l’atelier, versait une lumière généreuse.
Mason remplit la cruche dans le seau d’eau, puis, remontant sa manche droite, prit une cuiller qu’il inclina vers la bassine.
— Mrs. Blanchard, tenez donc cette cruche et versez l’eau, très lentement et avec soin, sur toute la longueur de la cuiller. N’ayez pas peur de mouiller mon bras. Observez le comportement de l’eau.
Qu’étais-je censée observer au juste ? J’obtempérai, sous le regard patient d’Ann.
— Là ! Voyez-vous ?
— Euh… non, répondis-je. L’eau coule normalement le long de la cuiller.
Mason soupira.
— Remplissez de nouveau la cruche et réessayez. Encore plus lentement, cette fois. Observez avec attention. L’eau tombe-t-elle en un mince filet ou s’étale-t-elle sur la surface bombée ?
Je scrutai l’ustensile tout en versant.
— Elle s’étale. Mais elle passe aussi sur l’intérieur de la cuiller.
— Oui, mais si je comblais l’intérieur afin qu’il devienne plat ? Alors l’eau se répandrait davantage sur la partie externe. Une surface courbe est plus grande qu’une surface plane. En le remarquant, je me suis rendu compte que si l’aile était incurvée au sommet, l’air qui passe au-dessus pendant le vol serait plus fluide, car il devrait raser une plus grande surface que l’air du dessous, du côté plat de l’aile. Et cela aiderait peut-être l’aile à flotter. Comprenez-vous ?
— Je le pense. Mais cela ferait-il tant de différence ?
— Vous comprenez vraiment ? s’étonna Ann. Tout cela me paraît si extraordinaire !
Je voyais assez bien ce qu’il voulait dire, mais je ne croyais toujours pas que cela réussirait. Néanmoins, je me gardai de le préciser et me bornai à répéter à Mr. Mason que je saisissais l’idée. Presque radieux, il se pencha sur ses dessins et m’expliqua le principe de la catapulte.
Une autre demi-heure passa avant que je puisse m’éclipser, mais son attitude envers moi s’était beaucoup réchauffée lorsque je le quittai.
Quelle chance, me dis-je, que lorsqu’il avait fouillé l’armoire de son bureau, il n’eût pas jeté un regard sur sa gauche ! La simple évocation de cette mésaventure me donnerait des sueurs froides jusqu’à la fin de mes jours.
Nous partîmes une heure plus tard. La journée était claire et fraîche, les nuages filaient dans un ciel ensoleillé et partout résonnaient les pépiements d’oiseaux, mais Dale et Brockley demeuraient silencieux. Avant longtemps, je compris qu’ils évitaient de se parler. Ils s’étaient querellés. Eh bien ! C’était un problème entre mari et femme auquel je ne pouvais remédier. Il arrive à tous les couples de se disputer.
Tentant de les distraire, je proposai de chanter. Mes deux fidèles serviteurs s’exécutèrent, mais leurs efforts manquaient tant de conviction que je renonçai. Exaspérée, je finis par dire :
— Un peu de bonne humeur, vous deux ! Regardez, quelle belle journée !
Ils acquiescèrent d’un ton morne. Je ne fis pas d’autre tentative.
Au fond de mon cœur, je ne me sentais pas très joyeuse, à dire vrai. Ce que j’avais à faire m’inquiétait. De plus, j’aurais besoin de l’aide de mes compagnons, et j’espérais qu’ils seraient disposés à me l’accorder.
Je préférais conférer d’abord avec Brockley, sans que Dale entende. Profitant de ce que la route, à cet endroit, était juste assez large pour avancer à deux de front, j’amenai Étoile à côté de Tacheté et exposai la situation.
— Il me faut observer Barnabas Mew dans sa boutique et examiner les lieux. Je ne suis pas sûre de ce que je cherche, mais je vais vous expliquer où j’en suis.
Je lui évoquai la facture de cuivre et d’étain, la découverte, sur le bureau de Mason, du plan de la boîte à musique de Mew, et les tapisseries.
— Tout cela m’intrigue. On dirait bien que Barnabas Mew et Mr. Mason sont liés de très près, or
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