L'affaire du pourpoint
Barnabas habite Windsor.
— Et alors, madame ?
Brockley me considérait sous son grand chapeau qui, je le savais sans avoir à le demander, dissimulait de nouveau son casque.
— Il pourrait être impliqué dans un meurtre.
— Paul Fenn ?
— Oui, mais pas seulement. Je ne voudrais pas alarmer Dale. La mort de Fenn l’a déjà effrayée ; voilà pourquoi je vous parle seule à seul. Il y avait un autre homme, un certain Jack Dawson…
Je lui relatai tout ce que je savais sur la fin de Dawson, sans omettre la conviction de sa logeuse qu’on avait fouillé la maison ce même soir.
— Je n’enquête pas sur lui. Toutefois, il affirmait avoir découvert à Lockhill l’indication d’un complot en faveur de Marie Stuart. C’est alors qu’il a trouvé la mort, probablement à Windsor. Barnabas Mew est le trait d’union entre ces deux endroits.
— Tout cela me paraît bien confus, jugea Brockley, d’un air réprobateur. En quoi cela désignerait-il Mew ou donnerait-il une raison de se mêler de ses affaires ?
Je répondis, pensive :
— C’est comme… un cloaque.
Brockley parut abasourdi, à bon droit.
— Un cloaque ? Madame, je ne comprends pas.
— Un monceau de débris et de matières, suintant et se mêlant, exhalant une odeur nauséabonde, et pourtant… fertile. Quelque chose pourrait en sortir. Au moins, je veux en avoir le cœur net.
— Mais comment serait-ce possible ? Vous ne pouvez interroger Mew de but en blanc !
— Je sais, néanmoins je peux fouiller dans ses papiers, comme dans le bureau de Mason. Il doit bien avoir une pièce où il s’occupe de sa correspondance et de ses comptes. Je dois m’arranger pour y entrer. Ces quantités extraordinaires de métaux qu’il achète m’intéressent au plus haut point. Sir William Cecil m’a bien dit de chercher tout ce qui était bizarre ou singulier, et si quelque chose me paraît singulier, c’est cette commande.
— Cela ne me dit rien qui vaille.
— À moi non plus, convins-je en toute franchise. Mais si la conspiration s’étendait…
— Les Anglais ne sont pas fous, argua Brockley. Combien d’entre eux voudraient remplacer notre Élisabeth par une jeune femme qui a grandi en France et qui a dix ans de moins ?
— Plus que vous ne croyez. Certains sont tellement attachés à l’ancienne religion que, pour la restaurer, ils placeraient n’importe qui sur le trône – un bébé, un assassin, à plus forte raison une jolie princesse. Puis il y a ceux qui aiment l’or et se laissent corrompre. Ces gens pourraient faire en sorte qu’un malheur arrive à Élisabeth. Ce serait alors la porte ouverte à Marie. Et si elle la franchissait, soutenue par une armée étrangère ? Je ne pense pas que l’Espagne soit en mesure de prêter une force d’invasion, mais pour peu que l’enjeu soit assez élevé, qui sait jusqu’où irait Philippe ? Si je dispose d’un seul moyen d’empêcher cela, je dois l’utiliser.
— Je vous suis, acquiesça Brockley. Vous avez peut-être raison, toutefois… Je le répète, ce n’est pas l’affaire d’une dame !
— La reine est une dame, Brockley. C’est pourtant son affaire, non ?
Brockley émit un son fort semblable à un grognement, puis dit, de guerre lasse :
— Expliquez-moi ce qu’il faudra faire.
J’exposai le plan que j’avais formé, à force de réflexion, durant la fin de la semaine. Il m’écouta sans plus soulever d’objection, puis se borna à déclarer :
— Eh bien, vous avez raison de préserver Fran ! Elle ne doit pas savoir que Mew pourrait être impliqué dans le meurtre de Fenn. Quant à Dawson, mieux vaut qu’elle continue de tout ignorer.
Nous attendîmes Dale pour chevaucher près d’elle, en l’encadrant, et nous lui apprîmes ce qu’elle devait savoir. Même sans soupçonner que nous allions pénétrer dans le repaire d’un meurtrier, elle prit un air triste et maussade.
— Je ferai de mon mieux, mais cela ne me plaît pas. Je ne peux souffrir les mensonges et la tromperie, et…
— Tu obéiras à notre maîtresse ! coupa Brockley d’un ton sec.
— J’ai dit que je ferais de mon mieux, répliqua-t-elle, le regard fuyant.
— Merci, répondis-je d’une voix neutre.
Les villes empestent. Après avoir chevauché à travers les bois et les champs, cela frappe toujours. Windsor est une petite communauté dense qui a grandi autour de son château, mais ses quelques rues sont aussi fétides
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