L'affaire du pourpoint
tombe et que je retrouve mon lit, à l’abri des rideaux.
Une fois de plus, je restai éveillée, à retourner les différents éléments de l’énigme dans ma tête. Et, une fois de plus, ma tisane apaisante demeura sans effet. J’en conservais l’habitude, nourrissant encore un vague espoir que les bavardages dans la cuisine, pendant que je la préparais, m’apporteraient une information utile ; de plus, le mélange de valériane et de camomille recommandé par Mrs. Logan m’aidait parfois à m’endormir. En fait, quoique Dale eût renoncé à la prendre avec moi car elle n’aimait pas les infusions, ma tisane du soir était dorénavant un rite. Ann me taquinait gentiment sur ce sujet, et les Logan m’avaient réservé un gobelet à cet effet, en étain, avec un petit bec sur le côté.
Cette nuit-là, tout comme celle qui avait précédé mon départ pour Thamesbank, où je m’étais sentie déchirée entre amour et devoir, le gobelet aurait aussi bien pu contenir de l’eau froide. Les yeux dans le vague, je me repassai le fil de tout ce que j’avais appris depuis mon arrivée à Lockhill.
Par deux fois, en fouillant le bureau, un souvenir avait failli resurgir. Des détails que j’aurais dû remarquer, reconnaître ou comprendre, mais qui me fuyaient.
Je me tournai et me retournai tandis que défilaient dans ma tête les tapisseries, les coïncidences, une commande d’étain et de cuivre, les gens qui dépensaient des sommes qu’ils ne possédaient pas. Cette étrange donnée financière me hantait. Sans trêve, je m’interrogeai : quels étaient les deux souvenirs fugitifs qui s’étaient agités au tréfonds de mon esprit ? Qu’avais-je laissé passer ?
Ce vendredi, je m’endormis peu avant l’aube et me réveillai lasse et abattue. J’arrivai en retard dans la classe du haut, pour constater que Pen avait pris la situation en main avec compétence, même si ses sœurs et elle ne cousaient pas. Elle jouait du luth, l’ardeur compensant le manque d’harmonie, pendant que Cathy et Jane chantaient.
— Mrs. Blanchard ! Écoutez la jolie chanson que Mr. Mew nous a apprise quand il nous enseignait la musique.
La moitié de la nuit, j’avais cherché en vain dans ma mémoire et, maintenant que je n’y pensais plus, l’un des souvenirs me revint à la mention du nom de Mew.
— Recommencez depuis le début, que je l’entende en entier.
Je m’assis et écoutai d’une oreille distraite, pendant que par l’esprit je retournais à la cour, le jour où Barnabas Mew avait offert sa boîte à musique à la reine. À nouveau, je le vis en montrer le fonctionnement ; puis je me remémorai le croquis mystérieux, dans le bureau de Mason, que j’avais pris pour sa nouvelle sorte d’épinette. Ce n’était nullement l’esquisse d’un clavier, mais le peigne de la boîte à musique, dont les lames frappaient le cylindre en train de tourner. Les flèches indiquaient le sens de rotation du cylindre, et la façon dont les lames étaient repoussées vers le haut.
Cela n’avait toujours aucun sens, mais une chose émergeait de ce brouillard : le lien entre Barnabas Mew et Lockhill ne se résumait pas à l’enseignement musical. Une facture adressée à l’horloger réapparaissait dans le pourpoint de Mason ; une esquisse de la boîte à musique de Mew, dont Mason était censé tout ignorer, se trouvait parmi les papiers du bureau. Et Dawson avait été assassiné à Windsor, où résidait Barnabas Mew.
Je cherchais au mauvais endroit. C’est à Windsor que j’aurais dû être. Cecil ne voulait pas que j’enquête sur la mort de Dawson, mais supposons que ce meurtre fût si étroitement mêlé au secret de Lockhill que l’un n’allât pas sans l’autre ? Cela valait-il pour Fenn ? Lui aussi avait pu être assassiné à Windsor.
L’idée de me rendre là-bas m’effrayait, toutefois je devais en savoir plus sur messire Barnabas Mew. Je pouvais commencer par l’observer dans son propre territoire. Le futur maître des garçons arriverait la semaine suivante, et Mew ferait coïncider sa visite avec la sienne. Mieux valait me hâter pour être sûre de le voir tant qu’il était encore dans son échoppe. Je prendrais Brockley et Dale avec moi, pour une course apparemment anodine et au grand jour. Cela ne pouvait être très dangereux…
Après cette démarche en viendraient d’autres, beaucoup plus hasardeuses. Je le savais, mais je ne pouvais me résoudre à les
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