L'affaire du pourpoint
faire usage de la couche de Mason dans l’antichambre. Redman rapporterait ce qu’il avait vu auparavant. Ma réputation serait détruite. Mason croirait à ses propres mensonges !
Cela ne s’arrêterait pas là. Après notre mésaventure avec Redman, j’avais tout expliqué à Dale en quelques mots rassurants. Plus tard, je l’avais avertie des mensonges qui circulaient dans la maison. Mais pour peu qu’on nous découvre, elle se poserait tout de même des questions. Pis encore ! Si j’étais saisie d’autres impulsions comme celle-ci, je commencerais, moi aussi, à m’en poser !
Je serrais les dents, horrifiée. Que m’arrivait-il ? Que dirait Gerald s’il pouvait me voir à présent ? Peut-être le pouvait-il ! Et si les morts observaient les vivants ? Mais alors il m’avait vue avec Matthew… Il nous avait vus… Je me demandai s’il était possible de perdre la raison tout en se tenant pétrifiée dans l’obscurité d’une armoire, avec son serviteur.
Je revins à la réalité avec un sursaut désagréable : des pas déterminés approchaient. On ouvrit la porte de droite. La lumière entra à flots. Les deux moitiés du meuble étaient séparées par une cloison qui partait du fond et s’achevait à quelques centimètres des portes. À demi cachés derrière les vêtements, nous voyions l’épaule de Mason tandis qu’il fourrageait parmi les étagères. À mon grand désarroi, je distinguais parfaitement son oreille gauche et mes propres points de raccommodage sur la broderie. Au moindre coup d’œil sur le côté, il nous découvrirait. Les manteaux nous dissimulaient mal et nos pieds dépassaient.
Il ne jeta pas un regard sur sa gauche. Après avoir déplacé avec impatience les livres des étagères pour chercher derrière, il recula et ferma les deux portes, nous laissant dans notre cachette, mais prisonniers d’insondables ténèbres. Je doutais de pouvoir crocheter la serrure de l’intérieur et me mis à trembler.
— N’ayez crainte, murmura Brockley. Mon couteau aura raison de ce loquet.
Au-dehors, les papiers bruissaient, les plateaux de bois claquaient avec mauvaise humeur sur la table. Puis vint un « Ah ! » triomphal et enfin – enfin ! – les pas s’éloignèrent. La porte de la pièce se referma.
— Attendez ! chuchota Brockley. Au cas où il aurait oublié quelque chose.
Nous nous tînmes cois. Rien ne se passa. Mes yeux s’accoutumaient à l’obscurité et je vis qu’il y avait en effet un rai de lumière entre les deux battants. Brockley s’insinua devant moi et le métal tinta lorsqu’il appliqua la pointe de sa lame dans l’interstice. Le loquet céda, coulissa en arrière. Retenant le bord de la porte, Brockley jeta un regard prudent au-dehors.
— Personne… Attendez.
Il sortit et s’approcha de la porte de l’antichambre, qu’il entrouvrit. Il revint, visiblement soulagé.
— La voie est libre. J’ai pu voir jusqu’au bout de la galerie, et tout est désert.
Sortant du placard, j’examinai la table.
— Je pense qu’il voulait ses dessins d’ailes. Ils se trouvaient dans ce plateau, vers le dessus. Ils ont disparu.
— Nous devrions en faire autant, dit-il avec conviction. Avez-vous découvert des informations utiles ?
— Non. Tant de risques pour rien ! Allons-nous-en, mais pas ensemble, de peur que nous ne rencontrions quelqu’un.
En prononçant ces mots, je me sentis rougir.
— Allez-y le premier, ajoutai-je. J’attendrai dans la galerie que vous vous soyez éloigné. Si nécessaire, je feindrai de chercher une épingle que j’aurais laissée tomber.
Cette fois, nous nous échappâmes sans être remarqués.
J’aurais bien voulu avoir le loisir de réfléchir ensuite, mais les gens semblaient se regrouper sans cesse autour de moi. Ann m’appela pour me montrer quelque chose à l’office, puis vint le dîner. Je dus aider Ann à maintenir la discipline, car Crichton prenait son repas à l’atelier avec Mr. Mason. L’après-midi, je me sentis obligée de m’occuper des filles, et l’heure du souper arriva sans que je m’en aperçoive.
Les hommes firent leur apparition pour manger. Mason s’était changé et portait son pourpoint fauve, ayant sans doute sali l’autre en travaillant à son invention. Crichton était vêtu de sa vieille robe poussiéreuse. Ann le regarda et soupira, mais ne dit mot.
De fil en aiguille, je n’eus pas un instant pour moi, jusqu’à ce qu’enfin la nuit
Weitere Kostenlose Bücher