L'affaire du pourpoint
était en face de moi, me dévorait du regard.
Dale était présente, quoique, ayant soupé avec Brockley, elle ne fût pas assise à table. Elle attendait sur le côté au cas où j’aurais besoin d’elle. Ses yeux s’étaient agrandis à la vue de Matthew. Je pouvais me fier à elle pour ne pas commettre d’imprudence, mais j’eus conscience qu’elle nous observait tout au long du repas.
L’année précédente, j’avais épousé Matthew, puis je m’étais enfuie. S’il n’avait quitté le pays au plus vite, il aurait subi le supplice réservé aux traîtres.
Cette union m’avait été imposée. J’avais choisi de la rompre, avec de bonnes raisons pour cela, pourtant la séparation m’affligeait tant que j’avais écrit, demandant si nous pouvions renouer notre lien. Il avait répondu, et accepté, néanmoins la colère et le ressentiment d’avoir été trahi apparaissaient dans sa lettre. Maintenant que nous étions face à face, cette trahison demeurait entre nous, question sans réponse qui devait être résolue avant tout espoir de retrouvailles.
Ce n’était pas la seule interrogation en suspens. Il y avait aussi un message mensonger signé de Matthew, et la réclusion dans un abri à bateau. Sans doute avait-il droit à des explications, mais de mon côté j’avais des questions à lui poser.
La tension grandit comme avant un orage ; il me semblait que, d’un instant à l’autre, la foudre s’abattrait sur le grand hall. Ann, le ressentant sans en comprendre la raison, essayait de détendre l’atmosphère par une conversation ordinaire. Elle complimenta Mr. Lenoir sur son excellente maîtrise de l’anglais.
— Vous êtes français, mais vous parlez si bien notre langue que je me demandais si vous aviez grandi en Angleterre. Vous avez vécu un certain temps ici, sans doute ?
— Mon père était français et ma mère anglaise, expliqua Matthew, sans détourner son regard de mon visage. Bien que j’aie été élevé en France, j’ai appris l’anglais avec ma mère. Après la mort de mon père, je l’ai ramenée en Angleterre, mais elle ne lui a pas survécu longtemps. Je suis donc retourné dans la vallée de la Loire. J’ai encore… certaines affaires en Angleterre et j’y viens de temps en temps, mais peu souvent. J’adhère à la même foi que vous-mêmes, et mes opinions sont peut-être un peu plus extrêmes.
— Mais est-ce vraiment une difficulté ? s’étonna Ann. Nous vivons très heureux, en accord avec nos convictions. Personne ne nous persécute.
— Je sens que l’Angleterre n’est pas le lieu qui me convient. Je préférerais ne pas avoir à choisir entre la loyauté envers la reine et la fidélité à ma foi. Le châtiment infligé aux traîtres est par trop atroce.
Ce trait m’était destiné. Mais j’y avais maintes fois songé, en proie à la terreur et à la détresse, jusqu’au moment où j’avais eu l’assurance que Matthew se trouvait en sûreté. En revenant en Angleterre, il mettait à nouveau sa vie en danger. Le pain frais et la viande tendre se changèrent dans ma bouche en une masse laineuse. J’eus grand-peine à avaler.
— J’ai vu un homme pendu puis écartelé, un jour, déclara le Dr Wilkins sur le ton de la conversation. Les bruits qu’il produisait…
J’aurais voulu me boucher les oreilles, mais, étant invitée, j’étais tenue à la bienséance. Sur ce sujet, le Dr Wilkins était aussi ignoble que tante Tabitha et oncle Herbert. Je me rendis compte alors, avec une lucidité nouvelle, que non seulement j’avais mis Matthew en danger, mais que le travail que j’accomplissais pour Cecil et la reine risquait d’en envoyer maints autres vers le destin terrifiant que le Dr Wilkins s’attachait à décrire.
Alors la foudre tant attendue tomba, mais pas du plafond du hall. Elle jaillit de ma colère. J’interrompis Wilkins :
— Diriez-vous que la mort d’un traître est pire que celle d’un hérétique ?
Je l’avais apostrophé d’un air de défi, mais il resta de marbre.
— Ce n’est pas comparable. Les hérétiques sont voués aux flammes éternelles, à moins que l’on ne veille à ce qu’ils expient leur faute en ce bas monde. Ils doivent brûler, pour leur propre bien.
Il parlait avec une assurance absolue, comme s’il sortait d’un entretien personnel avec le Tout-Puissant et d’une visite des Enfers. Tout le monde en fut réduit au silence, à l’exception de Philip qui
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