L'affaire du pourpoint
je pouvais te rejoindre.
— Et, toi, tu as écrit que la reine ne te libérerait pas avant mai. Te faut-il sa permission pour rejoindre ton époux ? Ursula, au nom du ciel, pourquoi n’es-tu pas partie aussitôt ? Le temps était passable pour naviguer. Je l’ai bien fait, moi ! Et nos lettres ont franchi la Manche. Pourquoi, pourquoi n’es-tu pas venue me retrouver ?
Comme si soudain il ne se maîtrisait plus, il traversa la chambre pour me dominer de toute sa taille.
— Matthew, non…
— Pourquoi ? Donne-moi une seule bonne raison pour laquelle je ne devrais pas te frapper. Crois-tu que l’on s’amuse avec moi comme avec un jouet ?
— Cela, non ! Jamais !
— Très bien. N’aie crainte, je ne te ferai pas de mal. Ursula, quand je repartirai pour la France, viendras-tu avec moi ?
— Je ne sais pas ! Je ne m’attendais pas à te trouver ici. Wilkins sait-il que nous sommes mari et femme ?
— Pourquoi diable parles-tu sans cesse de lui ? Oui, bien entendu. Tu es la raison pour laquelle je voulais l’accompagner à Lockhill. Je te pose une nouvelle fois la question : viendras-tu avec moi en France ?
— Tout dépend, éludai-je.
— Et puis-je savoir de quoi ?
Je me raidissais pour rester distante, ne pas me jeter dans ses bras en criant son nom, en jurant d’oublier le passé s’il l’oubliait aussi ; mais une question devait être posée.
— Matthew, voici plusieurs semaines, as-tu pris des dispositions afin de me faire venir d’Angleterre ?
— Si j’ai… De quoi parles-tu ?
J’avais sur moi la lettre qui m’avait conduite dans la barque de Charon. Je la sortis et la lui donnai.
— M’as-tu envoyé ceci ?
Il lut la missive en s’éclairant de la chandelle, puis il répondit :
— Non, ce n’est pas moi. On a imité mon écriture. L’idée que tu viennes sans tes serviteurs ne m’aurait pas effleuré. Tu es ma femme, dame du château de Blanchepierre. Je ne te demanderais jamais de voyager sans escorte. As-tu fait ce qui t’était enjoint ? Que s’est-il passé ? s’inquiéta-t-il en me rendant le parchemin.
— Je suis montée dans une barque, avec un homme que je ne connaissais pas. Il disait qu’il allait me conduire à toi, mais il a refusé que Brockley fasse au moins le trajet avec nous. Il m’a enfermée dans un abri à bateau isolé, disant qu’on viendrait me chercher en temps voulu pour te rejoindre. J’avais des couvertures, de la nourriture et de l’eau pour quelques jours. Par bonheur, Brockley nous avait suivis et m’a délivrée.
— Je n’ai eu aucune part dans tout cela. Je le jure.
Le soulagement me submergea. Matthew ignorait que Brockley avait reconnu Wylie. Il aurait pu répondre : « En effet, j’ai bien essayé de te faire venir, mais on s’est mépris sur ce que je désirais, et mes ordres ont été mal exécutés. »
Alors j’aurais su, à coup sûr, que Wylie et lui étaient de mèche et que donc, sans l’ombre d’un doute, il était impliqué dans l’affaire sur laquelle j’enquêtais. Pour l’instant, je pouvais garder espoir qu’il n’en était rien, que ses relations avec Wilkins n’étaient pas davantage qu’une coïncidence.
« Ô Dieu ! implorais-je dans ma tête. Faites qu’il en soit ainsi ! »
— Et maintenant ? poursuivit Matthew. Je t’ai posé une question. Tu as répondu par une autre, ce qui n’est guère une réponse. Viendras-tu en France avec moi ? Ou bien, ajouta-t-il avec une soudaine amertume, ton allégeance excessive envers la reine signifie-t-elle que tu t’es ravisée à mon propos ? Es-tu ici sur son ordre ?
— Non. J’ai été souffrante, prétendis-je, m’en tenant à l’histoire que les Cecil et moi avions forgée. Je suis ici pour me reposer. La reine m’y a autorisée. Elle ne voulait pas que je me rende en France car elle jugeait la mer trop dangereuse à cette période de l’année.
— Comment me fier à toi ? Je suis recherché dans ce pays. Je voyage sous un faux nom. Enverras-tu Brockley chercher le constable, au matin, afin qu’on m’envoie à la Tour, puis à l’échafaud ?
— Non, Matthew, non ! Quand je t’ai fui, l’an dernier, j’ai attendu un jour à Londres avant de voir Cecil, pour que tu aies le temps de te mettre à l’abri. Je t’ai laissé une chance, et nulle n’a été plus reconnaissante que moi quand j’ai appris que tu l’avais saisie !
— Ô Dieu ! Ursula !
Il se détourna et
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