L'affaire du pourpoint

nos mains.
    — Quelle coïncidence ! murmurai-je.
    — Tu n’as pas du tout changé, Cuiller à sel. Oui, une coïncidence en effet, mais qui nous est propice. Nous avons à parler. Wilkins et moi sommes logés dans la tour. Où est ta chambre ? Je viendrai t’y retrouver cette nuit.
    J’avais peur de tous les obstacles entre nous, peur de réveiller le passé et très peur du présent. Je m’étais tant languie de lui, et voilà que je redoutais d’être seule en sa présence.
    Pourtant, je le désirais aussi. Dès que mes yeux s’étaient posés sur Matthew, chaque parcelle de mon corps avait tendu vers lui. J’expliquai où il me trouverait.
    — À cette nuit, donc, me dit-il.

CHAPITRE XVI

Amour et danger
     
    Ma tisane du soir ne s’avérait guère efficace, et de toute façon je n’en aurais pas besoin cette nuit-là. Comme par un fait exprès, Dale s’en souvint et alla la chercher pour moi. Jennet monta avec elle, ma bassinoire à la main.
    — J’ai fait préparer votre boisson, m’annonça la jeune servante avec fierté. Je me suis rappelé la quantité de cannelle que vous aimez. J’ai bonne mémoire – Mr. Mason l’a dit, une fois.
    En prononçant son nom, elle rosit et ses yeux bruns de vache brillèrent. Elle était transparente comme de l’eau de roche.
    — En plus, j’étais bien aise de monter, ajouta-t-elle sur un ton de confidence. Ce Thomas n’arrête pas de passer la tête dans la cuisine. Il veut m’épouser, mais je ne veux pas de lui, une fois pour toutes. Il est paresseux et méchant. Je l’ai déjà vu brutaliser les chevaux.
    — Il serait bon que Thomas se marie, mais évidemment pas avec Jennet, dis-je quand la jeune fille fut partie à contrecœur, ayant pris tout son temps pour réchauffer mes draps avec la bassinoire. Dale, vous pourrez passer la nuit dans la chambre de Brockley. Je… Je n’aurai pas besoin de vous.
    — Oh, madame, je pensais bien !… dit-elle avec une expression chaleureuse que je ne lui voyais plus depuis longtemps. C’est votre époux !
    — Oui, c’est mon époux. Dieu sait dans quel état d’esprit il viendra cette nuit, mais je l’attends. Allez dormir dans le lit de votre mari. Je suis sûre qu’il se glissera près de vous au point du jour.
    Je lui donnai ma tisane. Elle s’inquiétait assurément, et même si elle n’aimait pas les infusions, je lui dis que cela pourrait l’aider à trouver le sommeil.
     
    Tandis que la maison s’enveloppait de silence, j’attendis Matthew seule, tout habillée, assise sur la banquette de ma fenêtre. L’unique chandelle me laissait dans l’ombre. Il tardait. Je me demandais s’il comptait vraiment me retrouver ou s’il avait voulu m’infliger une nuit de veille et de déception. Oui, de déception. Le désir était plus fort que la peur. Eh bien ! Je me sentais prête à veiller la nuit entière, puis à apparaître au matin fraîche et pimpante, comme si je n’avais pas le moindre souci au monde. Pensait-il pouvoir me blesser en me privant de sa présence ? Dans ce cas, c’est lui qui allait être déçu.
    Et puis mon cœur se mit à cogner dans ma poitrine, car, quelque part, une porte s’était ouverte et refermée doucement. Je tendis l’oreille, mais je ne perçus plus rien ; je sus qu’il était là seulement lorsque le loquet se souleva, et qu’il entra sans bruit.
    Lui aussi était tout habillé. Il ferma la porte derrière lui et s’y adossa. La lumière de la chandelle soulignait ses traits mats et volontaires, son long menton et ses sourcils obliques. Ses yeux étaient des puits de ténèbres.
    — Je suis ici, près de la fenêtre.
    Il souleva la chandelle afin que le halo tombe sur moi.
    — Ursula ! J’ai longtemps cru ne jamais te revoir, ni même le vouloir. Comment te portes-tu ?
    — Très bien, comme tu le vois. Dis-moi, m’enquis-je d’un ton courtois, comment se fait-il que tu connaisses le Dr Wilkins ?
    — Il était prêtre dans une paroisse du Sussex, non loin de Withysham. Il rend encore visite à ses anciens amis. Je l’ai rencontré lors d’un dîner, l’an passé.
    — J’ignorais où se trouvait sa paroisse.
    — Quelle importance ? Que vient faire Wilkins entre nous ? Quand ta première lettre est arrivée, Ursula, je n’ai su que penser ni ressentir. À présent encore, je me demande si j’ai envie de te faire l’amour ou de t’étrangler.
    Je restai assise, le dos très droit.
    — Tu m’as répondu que