L'affaire du pourpoint

presque froid. J’ai dû le rapporter en cuisine et demander à Jennet si c’était bien pour vous, puis si elle pouvait la réchauffer. Elle l’a versée dans une casserole aussitôt.
    — Donc, le verre est resté sur cette table, au milieu des allées et venues. À la fin de la soirée, personne n’est allé directement se coucher, n’est-ce pas ? Moi-même, je suis redescendue dans le hall pour chercher un châle que j’avais oublié. J’ai vu Mr. Mason descendre avec ses invités. Ils sont sortis prendre l’air dans la cour. Redman vérifiait que la table du dîner était bien débarrassée et Tilly est venue voir ce qui se passait. Elle ne s’est pas jointe à nous de toute la soirée mais, oui, maintenant que j’y pense, elle a traversé la longue salle.
    — Les garçons sont sortis, eux aussi, ajouta Dale. Quand je suis allée chercher la tisane, Crichton leur criait de rentrer. Tous les membres de la maison ont pu passer par là, madame, et chacun sait que vous prenez votre infusion dans ce verre à bec. Mrs. Mason plaisante à ce propos, quelquefois.
    Je n’étais pas plus avancée. N’importe qui avait pu verser du poison dans ma tisane du soir. N’importe qui sans exception, y compris Mr. Mason.
    Nous nous endormîmes enfin, côte à côte sur le lit de Brockley. À notre réveil, bien après l’aube, il n’était toujours pas de retour.
     
    — Prenez patience, répétai-je. Il a pu décider de dormir à l’auberge et se repose à présent. Il doit être fourbu.
    — Où donc, mais où peut-il bien être ? Il faut que je me lève ! Je ne vais pas rester couchée ici.
    — Si. Vous avez besoin de vous remettre.
    Je la persuadai de rester au lit et lui apportai du pain et du lait, pensant que cela serait doux pour son estomac fragile. À mon grand soulagement, elle mangea un peu. Promettant de revenir bientôt, je retournai vers la maison afin de m’habiller et de prendre mon petit déjeuner.
    En chemin, je trouvai Thomas en train de parler à une Jennet rouge et irritée, qui battait un tapis devant la porte de la cuisine. Au moment où je passais, elle se détourna de lui, heureuse d’avoir une excuse pour ce faire, et me demanda comment se portait Dale.
    — Beaucoup mieux, répondis-je. Grand merci pour votre aide, Jennet.
    Elle semblait désirer que je m’attarde pour causer, la protégeant ainsi de Thomas, aussi ajoutai-je :
    — Laissez là ce tapis et rentrez. On gèle, dehors.
    Reconnaissante, elle me suivit à l’intérieur tandis que Thomas s’en allait avec un haussement d’épaules.
    Au petit déjeuner, tout le monde s’enquit de la santé de Dale, y compris le Dr Wilkins, qui avait apparemment dormi comme une souche et venait à peine d’apprendre les événements de la nuit. J’annonçai que la malade se remettait peu à peu et attribuait son indisposition à un aliment avarié, consommé pendant notre voyage.
    Je ne voulais pas faire allusion à la tisane avant d’avoir soupesé le pour et le contre. Cela découragerait-il l’empoisonneur ou le convaincrait-il que mes soupçons me rendaient plus dangereuse que jamais ? J’eus la précaution de ne manger que ce que prenaient les autres et scrutai les visages, cherchant un air de déception ou un regard fuyant.
    Mais je ne vis que Matthew, me contemplant à travers la table, qui était mise ce matin-là dans la salle à manger. À l’instant où il était entré, c’était comme si la foudre était tombée entre nous et je m’étonnais que personne ne s’en rendît compte. Lorsqu’on se leva de table, je le découvris près de moi. Je l’accompagnai dans la cour de l’écurie.
    — Wilkins et moi partons aujourd’hui pour une affaire urgente, me rappela-t-il. Ensuite, il rentrera chez lui et je retournerai en France. Mais au préalable, je reviendrai te chercher – du moins, si tu y es prête. Je t’avertis, Ursula, je ne tolérerai plus d’hésitation. Tu viendras avec moi en France, cette fois-ci ou jamais. Tu peux amener tes serviteurs et nous irons chercher ta fille. Comprends-tu ?
    Je réfléchissais en silence, faisant tourner mon alliance autour de mon doigt. Matthew la remarqua.
    — Ce n’est pas la bague que je t’ai donnée.
    — Non, c’est celle de Gerald. La tienne est plus massive et quelqu’un pourrait s’en apercevoir, c’est pourquoi je la garde dans mon coffret à bijoux. Peu de gens sont au courant de notre mariage.
    — Et tu ne veux pas qu’ils