L'affaire du pourpoint
l’apprennent, dit-il avec amertume.
— Ma vie est plus facile ainsi. Matthew, tu n’as pu entrer dans le pays de façon légale. Comment voyagerions-nous ? As-tu pris des dispositions ?
— Oui. J’ai fait appel à un pêcheur catholique qui m’a aidé à fuir, l’an dernier. J’ai débarqué en secret et j’ai l’intention de partir de même. Nous pourrons faire un détour pour prendre Meg – sa mère a bien le droit de l’emmener en promenade ! Et ensuite, cap vers la France !
— Es-tu bien sûr que tu veux de moi ? Pourras-tu encore m’accorder ta confiance, après l’an dernier ?
— Tu ne m’avais pas laissé le temps de te conquérir. Quelques jours de plus, et je crois que tu n’aurais pas eu la force de t’arracher à moi. N’ai-je pas raison ?
Je demeurai silencieuse. Il disait vrai. Même cette courte semaine de mariage avait failli miner ma résolution. J’avais été tout près de céder et de rester avec lui ! Voyant que je demeurais muette, Matthew reprit :
— Je l’ai senti cette nuit. Me suis-je trompé ?
— Non, tu ne t’es pas trompé. Matthew…
On eût dit que je me tenais au milieu d’un torrent assourdissant, qui me poussait et me soulèverait bientôt pour m’entraîner. Je luttai afin de conserver l’équilibre, refrénant un désir fugitif et imprudent de me confier à Matthew. Il n’avait chargé personne de m’enlever, néanmoins il était venu avec Wilkins. Wilkins ! Et si cette affaire inachevée dont il parlait avait trait en réalité à la conspiration de Lockhill ?
Et où – mais où donc ? – se trouvait Roger Brockley ?
J’avais suggéré à Dale qu’il s’était arrêté quelque part pour dormir. Ou que son cheval s’était mis à boiter, ou encore qu’il s’était perdu en chemin. Des flèches jaillies d’un bois et une tisane empoisonnée tenaient un autre discours, mais le grondement du torrent noyait leur voix.
Il s’en reviendrait bientôt, sain et sauf. Au dernier moment, avant de quitter l’Angleterre avec Matthew et Meg, j’enverrais un message à Cecil pour lui transmettre tout ce que je savais ou supposais. À son retour, Brockley disposerait d’informations supplémentaires qui compléteraient mon rapport. Je serais alors quitte de mon devoir envers la reine. Les conspirateurs, quelle que fût leur machination, seraient arrêtés, mais pas Matthew. S’il était des leurs, il s’enfuirait. Et moi avec lui.
Je répondis :
— Va régler ton affaire de vaches et de chevaux, puis reviens me chercher. J’irai avec toi.
— Le penses-tu vraiment ?
— Oui.
Nous scellâmes cette promesse selon l’usage consacré, par un long baiser. Matthew rentra ensuite dans la maison tandis que j’allai partager l’attente de Dale. Au bout d’un moment, je vis que l’on amenait deux chevaux sellés devant l’entrée. Je descendis bien vite et courus jusqu’au passage voûté qui donnait dans la cour, afin de regarder Matthew s’éloigner avec Wilkins. Puis je retournai tenir compagnie à Dale.
Deux heures plus tard, Brockley n’avait toujours pas donné signe de vie.
Malgré sa faiblesse, Dale était trop inquiète pour rester au lit. Elle tint à se lever et à s’habiller.
— Il a des ennuis, madame. Il faut que je m’active pour ne plus penser.
Alors, je me rendis compte qu’en acceptant de partir avec Matthew quand ma propre affaire demeurait en suspens, j’avais perdu le sens. Je m’étais bercée d’espoirs démesurés.
Brockley était allé fouiller la cave de Barnabas Mew, or celui-ci pouvait fort bien être dangereux. Comment m’étais-je persuadée qu’il reviendrait d’un instant à l’autre ? Je venais de m’engager à la légère, tel l’aubergiste de comédie qui promet monts et merveilles au client, fût-ce un steak de griffon au souper et une licorne sellée pour six heures au matin. Tant que Brockley ne serait pas de retour, je ne pourrais me rendre en France.
Eh bien ! Si l’amour me faisait perdre la tête, je devais persister dans ma folie et tenter l’impossible. Puisque Brockley avait disparu, il me fallait le retrouver. Une fois par le passé, un homme avait accompli une mission pour moi et n’en était jamais revenu. Je n’attendrais pas, passive, que l’histoire se répète. Au retour de Matthew, je serais là. Ou alors j’aurais cessé de vivre.
— Dale, je pars pour Windsor. Je vais découvrir ce qui s’est passé.
— Vous ne pouvez y
Weitere Kostenlose Bücher