L'affaire du pourpoint

aller seule !
    — J’ai une dette envers Brockley. Le temps me manque pour demander conseil ou réclamer de l’aide. Quoique… Pourriez-vous monter en croupe sur Étoile et m’accompagner jusqu’au village afin de remettre un message de ma part ? Pour le Dr Forrest, au presbytère. Je pense qu’il vous laissera vous reposer jusqu’à ce que vous vous sentiez la force de faire le chemin en sens inverse.
    — Vous pensez qu’il m’aiderait ?
    — C’est un prêtre anglican. On peut raisonnablement l’espérer.
    — Pourquoi n’allez-vous pas le trouver vous-même pour lui demander de faire… le nécessaire ?
    — Parce qu’alors il pourrait tenter de m’en dissuader, et je ne supporterai aucun retard. Le ferez-vous, Dale ?
    — Oui, madame. Pour vous et pour Brockley, oui, je le ferai.
    — Alors, je vais chercher mon manteau et rassembler quelques effets, puis, en route ! Attendez-moi ici. Je vous ramènerai votre mari. Si c’est possible, j’y parviendrai.
    Sur cette note vaillante, je me hâtai de descendre l’escalier de bois. J’appelai un valet d’écurie afin qu’il selle Étoile et la tienne prête pour moi, puis je me précipitai vers la maison et vers un imprévisible désastre.

CHAPITRE XVII

Seller une licorne
     
    J’allai directement dans ma chambre. Je me changeai, choisissant mes chaussures les plus solides et une vieille robe dotée d’une toute petite fraise. Une fois vêtue, je m’assis pour rédiger un bref message au Dr Forrest. Je cachai le parchemin dans ma poche secrète, y ajoutai une bourse bien remplie, mes crochets et ma petite dague dans son fourreau. Enfin, j’attrapai un manteau et dévalai l’escalier principal.
    Au pied des marches, je fus accostée par Mr. et Mrs. Mason.
    — Ah, Mrs. Blanchard ! Je vous cherchais, dit Mr. Mason d’une voix sèche. Vous sortiez ? ajouta-t-il en remarquant mon manteau.
    — Je retourne auprès de Dale. Il fait très froid dans la cour.
    — Je crains qu’elle ne doive attendre. Je souhaite vous entretenir dans mon bureau. Ann, veux-tu aller chercher Tilly et Redman ?
    Étonnée, je regardai la jeune femme. Nous avions déjeuné ensemble et je n’avais vu aucun signe de cette extrême hostilité. Elle me rendit mon regard, du chagrin dans les yeux.
    — Je ne peux le croire. Tout va certainement s’expliquer…
    — Tout… quoi ?
    — Ann ! la reprit son mari sur un ton d’avertissement.
    — Oh, mon Dieu ! marmonna-t-elle, désespérée, avant de s’éloigner d’un pas rapide.
    — Que se passe-t-il donc ? demandai-je à Leonard. Faut-il que cet entretien ait lieu maintenant ? Je dois vraiment retourner auprès de Dale. Veuillez me pardonner, je ne pourrai donner leur leçon aux filles ce matin, mais…
    — Il me semble des plus improbable que vous soyez à nouveau en présence de mes filles, sans même parler de leur donner des leçons. Jamais je n’aurais dû vous autoriser à venir. J’ai voulu faire plaisir à ma femme, qui était certaine… Enfin, peu importe. Venez, Mrs. Blanchard. Immédiatement !
    Il me fit signe de le précéder dans l’escalier. Je remontai donc, furieuse et perplexe. Leonard s’assit à son bureau, me laissant debout. Évitant de regarder en direction de l’armoire associée à des souvenirs par trop embarrassants, je me tournai vers lui, les mains serrées sur mon giron.
    — Mr. Mason, auriez-vous l’obligeance de m’expliquer ce dont il s’agit ?
    — Attendez.
    Et nous attendîmes, dans un silence tendu. Des pas résonnèrent enfin à travers la galerie, puis dans l’antichambre. Ann apparut avec le majordome et Tilly. Redman portait le tablier qu’il revêtait pour nettoyer l’argenterie ; Tilly était tout en noir, avec pour seule concession une petite fraise blanche – encore que bordée de noir.
    Tilly n’était pas adepte des vertugadins et ses jupes retombaient en sac autour de sa silhouette osseuse. Son visage était émacié et pâle, la peau presque translucide autour des yeux d’un bleu fané, et une veine violette palpitait sur une de ses tempes comme si un ver y était logé. Une femme malade. Elle vint se camper à quelques pas de moi, et son regard délavé me fixa avec l’incompréhensible répulsion qu’elle me marquait toujours.
    Ann, son doux visage exprimant le chagrin, alla se percher sur la banquette de la fenêtre, dans la petite partie que les livres n’occupaient pas déjà.
    — Fort bien. Reprenons