L'affaire Nicolas le Floch
repartait de plus belle, détendant son visage et lui rendant par fugitives visions l'aspect de son âge réel. La gravité et le maintien composé habituels craquaient comme un vernis, faisant apparaître l'épure première d'une sorte d'allègre adolescent. Il se calma peu à peu, reprit son sérieux et rajusta sa perruque d'une main inquiète.
— Monsieur le commissaire, dit-il, vous attendiez, je l'espère, quelque accès, au demeurant légitime, d'âcreté à votre égard. Je pourrais en effet dire bien des choses sur votre légèreté, le mot est faible. Qu'un écervelé ait cru habile d'écouter le fallacieux babil et les conseils empoisonnés d'un ami agissant, sur mes ordres, cela passe mon entendement. Je dois cette justice à Bourdeau qu'il se rebéquait plutôt à l'idée de vous tromper.
Nicolas jeta un regard indigné à Bourdeau qui ne bronchait pas.
— Oh ! Vous pouvez lui pardonner ; il vous a défendu bec et ongles convaincu de votre innocence plus qu'aucun autre, avant même que le crime soit avéré. Inutile de me regarder avec cet air consterné. Vous me pratiquez depuis bientôt quinze ans. Vous ai-je jamais donné l'impression d'être naïf au point de me satisfaire de la seule parole d'un suspect ? Car, que vous le vouliez ou non, vous l'étiez en puissance, même si ma propension naturelle et mon aménité à votre égard m'incitaient à vous croire innocent. Cette impression était celle de l'homme, et non celle du lieutenant général. Vous savez mon goût du secret. Je vous voulais voir à l'œuvre dans une enquête où votre liberté demeurerait entière et sans entrave et que, de celle-là, Bourdeau me rendît compte exactement.
— Monsieur, dit Nicolas profitant d'une pause, une question, une seule question. Pourquoi cette épreuve contre laquelle je ne proteste point...
— Il ne manquerait plus que cela ! Vous n'êtes guère en position de le faire et je constate que les regrets ne vous étouffent pas.
— Et pourquoi, reprit Nicolas, cette épreuve prend-elle fin tout d'un coup ? La poursuivre vous aurait permis de conforter mieux encore votre jugement.
— Et le voilà qui me donne des conseils ! J'ai, monsieur le raisonneur, mes raisons pour agir, dont je n'ai pas à vous rendre compte. Évitez de me faire resonger au reste d'irritation que votre manque de sincérité dans cette affaire pourrait faire renaître.
— Et qu'aurais-je dû faire, monsieur, protesta Nicolas. Venir dénoncer un ami qui me tendait une perche secourable ? Ne le faisant pas, je ne vous trahissais pas. J'aidais, dans la discrétion, la justice à faire son travail étant le mieux à même, par mon intimité avec Mme de Lastérieux, à démêler le vrai du faux.
— Je reconnais bien là l'élève des jésuites de Vannes, dit Sartine. Moi, ce que je considère, ce sont les faits. Les rapports de Bourdeau pèsent dans la balance de mon jugement en votre faveur. Il reste un détail déterminant, qui confortera la confiance que l'homme vous concède et que le lieutenant général de police souhaiterait vous restituer, lui aussi, Nicolas.
— Je suis à vos ordres, monsieur.
— Je veux que vous me relatiez dans le plus grand détail votre seconde visite chez Julie de Lastérieux, avant-hier soir.
— C'est bien facile, monsieur, répondit Nicolas. Je suis arrivé calmé du Théâtre-Français, décidé à faire la paix avec Julie. Dès mon entrée dans son logis, dont je possédais les clefs, j'ai entendu le bruit animé de la fête qui se poursuivait. La colère m'a repris et j'ai renoncé à me montrer. M. de Noblecourt donnait un souper pour la fête des rois et je n'entendais pas rentrer rue Montmartre les mains vides. J'ai donc pénétré dans l'office pour y récupérer une bouteille de vieux tokay que j'avais achetée pour ma maîtresse. En sortant, j'ai heurté un inconnu, un musicien que j'avais rencontré l'après-midi jouant du piano-forte. Pressé, je l'ai d'ailleurs bousculé. Enfin, j'ai croisé Casimir, le valet, avant que de me retrouver dans l'escalier.
— Je suis témoin, dit Bourdeau sortant de son silence, que Nicolas, de retour chez M. de Noblecourt, a perdu connaissance et brisé la bouteille en question.
— Merci, dit Sartine en lui tendant une lettre. La confiance du lieutenant général et la certitude de votre innocence vous sont acquises. Plût au ciel que chacun en soit aussi convaincu que moi ! Une impression, fût-elle forte, ne sert pas de
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