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L'affaire Nicolas le Floch

Titel: L'affaire Nicolas le Floch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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traversée, Nicolas dut subir les récits décousus des policiers, ponctués des hurlements du pauvre dément. Au petit matin, il mit le pied sur le rivage français, vieilli, déniaisé dans les affaires du Secret et père putatif d'un garçon de quatorze ans qui, il le remarqua soudain, portait le prénom de son propre père, le marquis Louis de Ranreuil, et celui du roi, son maître. Abandonnant les chevaliers de la triste équipée aux mains de leurs confrères du port, il se fit donner le meilleur coursier au relais de poste et piqua des deux, désireux de rentrer le plus vite possible à Paris.

VII
    CONFUSION
    L'heure est de glace aux vérités
    Elle est de feu pour les mensonges.
    La Fontaine

    Mardi 18 janvier 1774
    Le retour de Nicolas à Paris lui fut un cauchemar. Les montures de qualité inégale fournies par les relais de poste l'avaient fait vider deux fois les étriers et tomber dans des fondrières de boue et de glace. Ce n'était pas méchanceté ou vice de chevaux auxquels il parlait avec science et tendresse, mais ils avaient dérapé sur des plaques gelées, effrayés par les nuées fantomatiques qu'une succession ininterrompue de pluies et de brouillards jetait comme autant d'obstacles menaçants devant leurs yeux fatigués. Au cours de brèves haltes, il s'était goinfré des moindres victuailles, reprenant aussitôt la route, tendu vers sa destination sans réflexions ni angoisses.
    Le samedi matin, il parut enfin rue Montmartre et se laissa choir de sa selle. Les mitrons de la boulangerie du rez-de-chaussée l'avaient monté presque paralysé dans sa chambre. Chacun s'évertuait, Poitevin coupait ses bottes afin de les lui ôter, Marion ranimait le feu et faisait chauffer de l'eau, et Catherine, en ancienne cantinière, qui en avait vu d'autres sur tous les champs de bataille de l'Europe, le déshabillait et le bouchonnait comme une bête en l'inondant des chaleurs conjuguées du schnaps et des onguents paysans. Le sommeil qui s'ensuivit dura deux jours. Il revint à lui le lundi matin. Reposé, il avait surgi dans l'office à moitié nu, bondi dans la cour, actionné à grandes brassées le levier de la pompe pour s'inonder d'eau froide, en chantant à tue-tête, avant que de dévaliser la cuisine et de taquiner Marion et Catherine effarées. Il avait ensuite devisé de riens avec M. de Noblecourt, ravi du retour de l'enfant prodigue et remis à plus tard d'aborder des sujets plus sérieux. Rasé de frais, coiffé et habillé, il s'était dirigé à pied vers le Grand Châtelet où il savait à cette heure pouvoir retrouver Bourdeau. Il avait l'ardeur et l'appétit de vivre d'un homme renaissant.
    Seule la silhouette familière de la prison royale parvint à le rappeler à la sombre réalité : il demeurait le suspect principal d'un meurtre atroce. Nul parmi ses proches ne le croyait coupable, mais tout semblait machiné pour confirmer les soupçons de beaucoup d'autres. Il se perdait toujours en conjectures sur l'origine des tentatives d'assassinats dont il avait été l'objet. Elles l'avaient convaincu qu'une mystérieuse coalition de puissances en voulait à sa vie comme à son honneur. À quelle aune, Sartine et surtout le roi mesureraient-ils le succès mitigé de sa mission à Londres ? Et, brochant sur ce tableau menaçant, il lui fallait encore se pencher sur le passé d'un enfant, aujourd'hui adolescent, dont l'avenir pouvait le toucher de près. Mais cette affaire-là, il estimait qu'elle pouvait attendre un peu ; quatorze années de silence justifiaient amplement sa prudence.
    Assis dans le bureau de permanence, Bourdeau consultait la main courante des événements de la nuit. Cette scène respirait la routine du quotidien ; elle le rassura. Il fut sensible à l'élan qui fit se lever son ami et à la forte bourrade décochée avec des grognements de joie.
    — Pardieu que c'est plaisant de vous retrouver, voyageur mystérieux !
    Nicolas, gêné, ne savait comment expliquer une absence dont Bourdeau était censé ignorer les raisons.
    — Je sais, reprit Bourdeau, je sais. Affaire d'État ! M. de Sartine m'en a laissé entendre suffisamment pour que je ne vous agace pas de questions. Et la rumeur...
    — Vous m'avez manqué ! s'écria Nicolas soulagé. Un jour, je vous conterai le tout. Mais ici, quoi de nouveau ?
    — La hauteur des coiffures augmente peu à peu, répondit Bourdeau, sérieux comme un pape. Pour être plus précis, je vous rassure sur la rumeur.

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