L'affaire Nicolas le Floch
L'équipage de Mme du Barry a glosé sur une rencontre avec un marquis commissaire sur la route du Nord... Le lieutenant général à qui la chose fut rapportée en a perdu son sang-froid, arraché sa perruque et promis qu'il vouerait aux pires supplices les bavards – il a usé d'un terme plus fort – qui mettaient en péril la vie de son meilleur commissaire. C'est dire mon inquiétude et ma joie de vous revoir.
— Bien, bien. Mais éclairez ma lanterne : où en sommes-nous de nos affaires ?
— Adagio ma non troppo . Dans l'ordre et vite dit : primo , vous héritez de Mme de Lastérieux ; secundo , une lettre anonyme vous implique dans un acte mystérieux ; tertio , Casimir, l'esclave de votre amie, est passé à la question, sans résultat mais je souhaiterais avoir votre sentiment sur cet interrogatoire.
— Allons, examinons cela dans l'ordre.
— J'ai trouvé le nom du notaire de Mme de Lastérieux. Comme vous le pressentiez, c'est, sinon quelqu'un du quartier, du moins un office proche. Il s'agit de M e Thiphaine, rue de la Harpe vis-à-vis la rue Percée. Ayant reçu ordre de l'interroger, ce personnage m'a sorti de ses layettes un testament olographe de votre amie qui vous érige en légataire universel.
Il regardait Nicolas accablé qui baissait la tête.
— Cela n'est rien, il y a pire ! Cet acte a été signé trois jours avant sa mort.
— Dans quelles conditions ? A-t-elle comparu ? A-t-elle fait venir ce tabellion rue de Verneuil ? Le sceau était-il intact ?
— Bonnes questions ! Aucune comparution, pas de témoins, et testament déposé à l'étude par porteur inconnu.
— La signature ?
— Il y en a plusieurs qui paraissent authentiques selon l'avis autorisé d'un expert du Palais et le sceau rouge était intact. Vous connaissez aussi bien que moi les risques d'erreurs dans ce genre d'affaire. Jamais aucune certitude, à vrai dire. La pièce peut être authentique ou constituer un faux. Dans le second cas, les soupçons peuvent se porter sur vous, à qui profite... Et dans le premier cas, idem.
Nicolas réfléchissait.
— La signature authentique ne suffit pas, dit-il, et l'acte lui-même doit être entièrement écrit à la main, et la date de même. Ces trois conditions sont exigées pour la reconnaissance légale de cette catégorie particulière de testament. Coutume de Paris, modifiée en 1581, par une tentative du Parlement qui entendait ainsi entamer les prérogatives des notaires royaux seuls habilités à dresser ce type d'acte. De toute façon, mon cher Pierre, je vous suggère de resserrer votre enquête autour de ce notaire dont, moi, vieux Parisien, j'ignorais jusqu'aujourd'hui le nom.
— Vous avez mis le doigt sur la partie douteuse, répondit l'inspecteur. Ce Thiphaine vient juste d'être reçu dans la Compagnie. Chacun s'étonne qu'il ait pu mobiliser l'argent nécessaire pour l'achat d'une charge soudain abandonnée par une famille qui la tenait depuis des siècles. Ces reprises sont fort rares et souvent favorisées par des unions matrimoniales. Elles sont difficultueuses à l'excès et exigent beaucoup d'entregent. Mais d'où vous vient toute cette science ?
— Vous oubliez qu'on me destinait au notariat et que je fus clerc de notaire à Rennes avant mon exil à Paris.
Ils se mirent à rire, et Bourdeau demanda :
— Que me conseillez-vous, en l'occurrence ?
— Il serait bon de s'adresser à M e Bontemps, doyen de la Compagnie des notaires royaux, pour recueillir plus d'informations sur ce Thiphaine-là. Nous en parlerons à M. de Noblecourt ; ils sont sensiblement du même âge et je les sais fort amis. Et cette lettre anonyme dont vous parliez ?
Bourdeau ouvrit un registre et en sortit un petit papier maculé, couvert de caractères en bâtons d'imprimerie.
— Cela a été jeté dans la voiture de M. de Sartine. Écriture sans caractère et par conséquent contrefaite, papier commun et encre de même. Aucun indice utilisable.
Il lut la missive à haute voix.
— « Demandez à Nicolas Le Floch ce qu'il précipitait dans le fleuve à l'angle du quai avec le Pont-Royal, face à la rue de Beaune, dans la nuit du 6 au 7 janvier 1774. Que justice soit faite ! »
— Cela n'a aucun sens, dit Nicolas qui voyait son bel enthousiasme du matin se dissiper peu à peu. Quelle main perverse s'acharne contre moi, et pour quelles raisons ? Le meurtre de Julie, d'autres choses encore que je ne puis vous dire.
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