L'affaire Nicolas le Floch
Ce testament... Quand prendront fin ces mystères ?
— Quand nous aurons arrêté le ou les coupables. Il me vient une idée sur ce dernier point. M. de Sartine, en votre absence, m'a enjoint d'assister pour lui à une expérience présentée par un inventeur à une commission de l'Académie des Sciences.
— Et que vient faire cette expérience avec notre affaire ?
— Vous allez comprendre. Il s'agit d'une nouvelle machine à l'aide de laquelle son inventeur prétend pouvoir rester sous l'eau pendant au moins une heure sans aucune communication avec l'air extérieur. Il soutient qu'il atteindra avec elle une profondeur de trente pieds. Suivez-vous la pente de mon esprit ? Le lit de la Seine n'est pas si profond. Je précède votre question : nous avons déjà dragué à cet endroit, sans résultat. Il suffit que cette expérience intervienne à l'angle du Pont-Royal, c'est à nous d'en décider le lieu, et cela, dans deux jours, le 20 janvier.
— Pour extraordinaire qu'elle soit, votre idée me paraît excellente et j'aimerais assister à cette tentative.
— Rien ne s'y oppose. M. de Sartine a décidé, avec l'accord de Sa Majesté, que vous pouviez m'accompagner dans la poursuite de cette enquête, sans déguisement cette fois, encore que le carnaval n'est pas éloigné.
— Et le tertio ? soupira Nicolas.
Bourdeau lui tendit une feuille de papier toute constellée des pattes de mouche d'un greffier.
— C'est le procès-verbal d'interrogatoire de Casimir, l'esclave de Mme de Lastérieux.
Nicolas hocha la tête.
— On ne reconnaît point à ces gens la qualité d'hommes libres, mais quand il s'agit de les tourmenter ils appartiennent à l'ordre commun et subissent la torture comme leur maître. Alors, on les écoute et leur parole vaut autant que celle d'un autre !
— Je reconnais bien là votre bon cœur, dit Bourdeau, et je partage votre sentiment là-dessus. Pour votre gouverne, apprenez que cette affaire a transpiré sans que votre nom soit cité, mais pour Casimir ce fut une autre paire de manches ! Certains milieux ont informé le ministre secrétaire d'État à la Marine. Tous confabulent et exigent que la lumière soit faite sur un crime, à leurs yeux, d'une exceptionnelle gravité. Pensez donc, un assassinat commis contre une femme blanche, veuve d'un ordonnateur de marine aux Antilles, par un nègre esclave – et, de surcroît, en France ! Qu'adviendrait-il aux colonies si le bruit de l'aventure n'arrivait pas en même temps que la nouvelle rassurante d'un châtiment implacable et immédiat ? Les pressions les plus fortes se sont exercées sur M. de Sartine, dont vous connaissez l'opinion éclairée tant sur l'esclavage que sur le principe même de la torture.
— Hé ! que n'a-t-il résisté à cette cabale !
— C'est exactement ce qu'il a fait, donnant à Sanson des instructions de modération. Vous savez l'humanité de notre ami : elles ont été observées à la lettre. Les tourments n'ont été qu'esquissés. Il s'agissait plutôt d'effrayer le prévenu pour le persuader de parler que de le meurtrir pour obtenir n'importe quoi. L'appareil de la question est suffisamment impressionnant pour briser la résistance d'un pauvre esclave accusé d'un crime à mille lieues de son île natale !
Nicolas prit le document et le lut à haute voix.
— « L'an 1774, le quinzième de janvier en la prison royale du Châtelet, nous, Pierre Bourdeau, inspecteur de police, par délégation extraordinaire de M. le lieutenant criminel et en présence ... »
— Passez, dit Bourdeau, il a répété mot pour mot ce qu'il avait dit auparavant. J'ai souligné à la mine de plomb les passages où apparaissent quelques précisions nouvelles.
Nicolas reprit sa lecture.
— « ... fait pour la seconde fois attacher le dit Casimir sur le tourment et interrogé sur le fait le savoir s'il n'a pas tenté d'empoisonner sa maîtresse. – Répond : non, et que celle-ci ne l'a jamais maltraité, mais que c'est vrai qu'il lui a souvent demandé de le rendre libre, lui et sa compagne, et qu'elle a toujours refusé, ce dont ledit interrogé a été fort mécontent. Interrogé s'il s'en est ouvert à un tiers. – Répond : il ne veut pas préciser l'identité de la personne qui lui avait donné conseil de passer aux Îles, que l'argent en suffisance était le seul aléa. Interrogé ledit s'il savait que c'eût été là une désertion et qu'il s'exposait à être
Weitere Kostenlose Bücher