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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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parce que les camarades, tous ensemble, se tenant par les bras comme lors des funérailles révolutionnaires d'autrefois, les Vieux, les énergiques, les volontaires l'entraînaient sur la banquise… À leurs pieds s'ouvrit tout à coup une crevasse géométriquement fendue en éclair ; une eau noire, lisse, étoilée, clapota au fond. Ryjik cria : « Camarades, prenez garde ! » Une déchirante douleur, tracée en éclair aussi, rôdait dans sa poitrine. Il entendait de courtes explosions sous la glace… Arkhipov, soldat du bataillon spécial vit le sourire du prisonnier se convulser sur ses dents dont le claquement s'éteignit au bord du gobelet. Le regard des yeux délirants se voila.
    – Citoyen ! Citoyen !
    Rien ne bougeait plus du massif visage hérissé de poils blancs. Arkhipov déposa lentement le gobelet sur la table, recula d'un pas, se mit au port d'armes, se figea dans la frayeur et la pitié.
    Nul ne fit attention à lui quand accoururent les grands personnages, le médecin en blouse blanche, un très, très haut gradé aux cheveux parfumés, une petite femme en uniforme, tout à fait blême, sans lèvres, un petit vieux en pardessus râpé auquel le gradé lui-même, avec ses insignes de général, ne parlait qu'incliné… Le médecin fit du stéthoscope un geste aimable :
    – Excusez-moi, camarades, la science n'y peut plus rien…, et prit un air ostensiblement mécontent, puisqu'il se sentait à couvert : Pourquoi m'avoir appelé trop tard ?
    Personne ne sut que dire. Le soldat Arkhipov se souvint que, dans les églises, on chante pour les morts sur un ton de supplication : « Pardonne-le, Seigneur ! » Athée comme on doit l'être à notre époque, il se reprocha aussitôt cette réminiscence, mais le chant liturgique continua malgré lui de monter dans sa mémoire. Était-ce donc si mal ? Personne ne le saurait. « Pardonne-le, Seigneur ! Pardonne-nous ! » Le silence de la prison s'abattit pour un moment sur tout ce groupe. Les grands personnages mesuraient les conséquences : les responsabilités à établir, l'instruction à reprendre par un autre bout, le chef à informer, à quoi raccrocher le procès Toulaév ?
    – À qui appartenait l'accusé, demanda Popov sans regarder personne, car il savait parfaitement.
    – À la camarade Zvéréva, répondit le haut-commissaire intérimaire à la Sûreté, Gordéev.
    – Lui avez-vous fait passer une visite médicale à l'arrivée, camarade Zvéréva ? Receviez-vous des rapports quotidiens sur son état et son attitude ?
    – Je croyais… Non…
    La réprobation de Popov, éclata :
    – Vous entendez, Gordéev, vous entendez ?
    Emporté par sa colère, il se jeta le premier hors de la cellule. Il courait presque, chétif, pareil à un trop grand polichinelle, mais c'était lui qui entraînait l'imposant Gordéev au bout d'un fil invisible. Zvéréva sortit la dernière. En passant devant le soldat Arkhipov, elle sentit qu'il la regardait avec haine.

8. LA ROUTE DE L'OR
    Depuis son retour d'Espagne, Kondratiev vivait dans une sorte de vide. La réalité le fuyait. Sa chambre, au quatorzième étage de la Maison du Gouvernement n'était qu'abandon. Les livres s'empilaient sur le petit bureau, ouverts, les uns sur les autres. Les journaux dépliés encombraient le divan sur lequel il se jetait subitement, les yeux au plafond, le cerveau vide, avec une légère sensation de panique dans la poitrine. Le lit paraissait toujours défait, mais ne ressemblait plus, bizarrement, à un lit de vrai vivant, et Kondratiev n'aimait pas à le voir, n'aimait pas à se dévêtir pour s'y coucher, n'aimait plus à dormir – dire qu'il faudra se réveiller demain, revoir ce plafond blanc, ces tentures d'hôtel assez riche, ce cendrier plein de cigarettes inachevées, oubliées à peine commencées, ces photos naguère chères qui ne signifiaient plus rien en somme… Étonnant, comme les images s'éteignent. Il ne supportait que la fenêtre d'où l'on voyait les chantiers du grand Palais des Soviets, la courbe de la Moskova, les tours et les édifices superposés du Kremlin, la caserne carrée des dernières tyrannies (avant la nôtre), les bulbes des vieilles églises, la tour blanche d'Ivan le Terrible… Des gens cheminaient toujours sur le quai, une auto de fonctionnaire dépassait un vieil attelage de briquetiers des siècles précédents et ces mouvements de fourmis occupées, avec des bêtes et des moteurs, l'intriguaient. Ces fourmis s'imaginent donc

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