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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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très bien réglé, cette affaire avec le syndicat du Donietz, ce sera fait en vingt-quatre heures, mais qu'avez-vous, Tamara Léontiévna, êtes-vous malade ? Il ne fallait pas venir ce matin, si vous vous sentiez mal…
    – Je serais venue à tout prix, murmurait la jeune femme, de ses lèvres décolorées, excusez-moi, il faut, il faut que je vous avertisse…
    Elle fut désespérée, ne sachant comment dire.
    – Allez-vous-en, Ivan Nicolaévitch, partez tout de suite et ne revenez pas ! J'ai surpris sans le vouloir une conversation téléphonique entre le directeur et… je ne sais qui… je ne veux pas savoir, je n'ai pas le droit de savoir, je n'ai pas non plus le droit de vous dire, qu'est-ce que je fais, mon Dieu !
    Kondratiev lui prit chaudement les deux mains, elle avait les mains glacées.
    – Voyons, voyons, je sais moi-même, Tamara Léontiévna, calmez-vous… Vous croyez que je vais être arrêté ?
    Elle fit oui des paupières.
    – Allez-vous-en, vite, vite…
    – Mais non, dit-il, nullement.
    Il se détachait d'elle, redevenant le distant sous-directeur chargé du contrôle des plans spéciaux :
    – Je vous remercie, Tamara Léontiévna, vous allez compléter pour deux heures le dossier des houillères de louzovka. En attendant, demandez-moi au téléphone le Secrétaire général du parti. Insister de ma part pour obtenir le cabinet du Secrétaire général… Tout de suite, je vous prie.
    Cette clarté serait celle du dernier jour ? Une chance sur mille d'obtenir l'audience… Et là ? Le beau poisson de mer tout cuirassé d'écailles, dont chacune reflète la lumière entière d'un univers asphyxiant, se débat dans la nasse en plein impossible, asphyxiant, tout cela – mais je suis prêt. Il fumait rageusement, tirant deux bouffées d'une cigarette, puis l'écrasait sur le bord de la table et la jetait violemment sur le parquet. Il en rallumait une autre aussitôt et ses mâchoires se soudaient, il s'oubliait dans son fauteuil directorial, dans cet absurde cabinet de travail, antichambre d'un lieu de supplices imprévisibles. Tamara Léontiévna revint sans frapper.
    – Je ne vous ai pas appelée, dit-il hargneusement, laissez-moi seul… Ah oui, vous me passerez la communication à l'appareil…
    Fuir, en effet, une mince possibilité existait peut-être ?
    – Quoi encore ? Les houillères de Gorlovka ?
    – Non, non, disait Tamara Léontiévna, j'ai demandé l'audience pour vous, il vous attend à trois heures précises au Comité central…
    – Quoi, quoi ? Vous avez fait cela ? Mais qui vous l'a permis ? Vous êtes folle, ce n'est pas vrai ! Je vous dis que vous êtes folle !
    – J'ai entendu SA VOIX, continuait Tamara, IL est venu LUI-MÊME à l'appareil, je vous assure…
    Elle parlait de lui avec une vénération terrifiée. Kondratiev se pétrifiait : le gros poisson de mer qui commence à crever.
    – C'est bien, dit-il sèchement. Occupez-vous du rapport du Donietz… Gorlovka et cætera… Et si vous avez mal à la tête, prenez de l'aspirine.
    … Trois heures moins dix, la grande salle du Secrétariat général. Deux présidents de Républiques fédérées y conversaient à voix basse. D'autres présidents de Républiques disparurent, dit-on, en sortant d'ici… Trois heures. Le vide. Des pas dans le vide.
    – Veuillez entrer…
    Entrer dans le vide.
    Le chef était debout dans la blancheur atténuée du vaste cabinet. Ramassé sur lui-même. Il reçut Kondratiev sans un mouvement de bienvenue. Ses yeux roux avaient un regard opaque. Il murmura : « Salut ! » d'un ton indifférent. Kondratiev n'éprouvait nulle crainte : plutôt la surprise d'être presque impassible. Bon, nous voilà face à face, toi, le chef et moi qui ne sais pas si je suis à la vérité un vivant ou un mort, abstraction faite d'une certaine durée d'importance secondaire. Eh bien ?
    Le chef faisait trois ou quatre pas au-devant de lui sans lui tendre la main. Le chef le regardait de la tête aux pieds, lentement, durement, Kondratiev entendit l'interrogation trop grave pour être proférée : « Ennemi ? » et il y répondit de même sans desserrer les lèvres : « Ennemi, moi ? Es-tu fou ? »
    Le chef demanda tranquillement :
    – Alors, tu trahis, toi aussi ?
    Tranquillement, du fond d'un calme sûr, Kondratiev répondit :
    – Je ne trahis pas, moi non plus.
    Chaque syllabe de cette terrible phrase se détachait comme un bloc de glace dans une blancheur polaire. Sur de telles paroles, impossible

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