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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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ouvrait le pli bleu, l'observait avec une extrême attention. Fatiguée, nerveuse, décidée. Se montrer prudent.
    Popov télégraphiait :
    « Mère malade te prions rentrer urgence… »
    – J'ai retenu une place dans l'avion de mercredi…
    – Je ne partirai pas, dit Xénia.
    Sans y être invité, il s'asseyait en face d'elle. Penchés l'un vers l'autre, ils eurent l'air d'amoureux brouillés qui se réconcilient, parlant bas. Mme Delaporte comprenait tout maintenant.
    – Krantz me charge de vous dire, Xénia Vassiliévna, que vous devez rentrer… Vous avez été très imprudente, Xénia Vassiliévna, permettez-moi de vous le dire… avec amitié… Nous appartenons tous au parti…
    Ce n'était pas ce qu'il fallait dire. Willi reprit :
    – Krantz est un brave vieux type… Inquiet pour vous. Inquiet pour votre père… Vous compromettez gravement votre père… Il est vieux, votre père… Et vous ne pouvez rien, ici, vous n'arriverez à rien, absolument rien… C'est le vide.
    Plus habile, ça. Le visage blanc de Xénia perdit quelque chose de sa dureté.
    – Entre nous, je crois qu'en rentrant vous serez arrêtée… Mais ce ne sera pas grave, Krantz interviendra, il me l'a promis… Votre père pourra répondre de vous… Il ne faut pas avoir peur.
    Tout à fait habile, ça, l'allusion à la peur… Xénia dit :
    – Vous croyez que j'ai peur ?
    – Mais pas du tout ! Je vous parle en camarade, amicalement, je…
    – Je rentrerai quand j'aurai fini ce que j'ai à faire. Dites-le à Krantz. Dites-lui que si Roublev est fusillé, je crierai dans les rues… Que j'écrirai à tous les journaux…
    – Il n'y aura pas de procès, Xénia Vassiliévna, nous en sommes informés. Nous n'envoyons pas de démenti pour mieux laisser cette information malencontreuse tomber à l'oubli. Krantz ne sait même pas si Roublev est vraiment arrêté. S'il l'est, en tout cas, le bruit que vous tenteriez de faire autour de son nom ne pourrait que lui faire du tort… Et je suis effrayé de vous entendre parler ainsi. Je ne vous reconnais plus. Vous êtes incapable de trahir. Vous ne crierez rien à personne, quoi qu'il arrive. À qui vous adresseriez-vous ? À ce monde ennemi autour de nous ? À ce Paris bourgeois, à ces journaux fascistes qui nous calomnient ? Aux trotskystes, agents des fascistes ? Que pourriez-vous faire de plus qu'un petit scandale contre-révolutionnaire pour le plus grand plaisir de quelques feuilles antisoviétiques ? Xénia Vassiliévna, je vous promets d'oublier ce que vous venez de dire. Voici votre billet pour l'avion de mercredi, au Bourget, 9 h 45, j'y serai. Avez-vous de l'argent ?
    – J'en ai.
    Ce n'était pas vrai, Xénia le sut avec souci. La note de l'hôtel payée, il ne lui resterait presque rien. Elle repoussa le carnet d'avion.
    – Reprenez ça, si vous ne voulez pas que je le déchire devant vous.
    Willi le serra dans son portefeuille, tranquillement.
    – Réfléchissez, Xénia Vassiliévna, je reviendrai vous voir demain matin.
    Mme Delaporte fut déçue qu'ils se quittassent sans tendresse. « Elle doit être rudement jalouse, cette petite Russe, ce sont des tigresses quand elles s'y mettent… » – « Ou tigresses ou dévergondées, tous ces peuples-là n'ont pas de mesure… » À travers les rideaux, Xénia remarqua que Willi, avant d'entrer dans sa Chrysler, tournait la tête vers le haut du boulevard, où flanait une gabardine beige. Déjà surveillée. Ils me forceront à partir. Capables de tout. Je m'en fous. Mais…
    Elle compta ce qui lui restait d'argent. Trois cents francs. Passer au Commerce extérieur ? On lui refuserait une avance. La laisserait-on seulement sortir ? Vendre le bracelet-montre, la Leica ? Elle fit sa valise, rangea dans sa serviette un pyjama, de menues choses, s'en alla sans se retourner, sûre d'être suivie, par la rue Vavin. Au Luxembourg, elle entrevit en effet, à une cinquantaine de mètres, la gabardine beige. « Traître, moi aussi, maintenant, comme Roublev… Et mon père est un traître puisque je suis sa fille… » Comment maîtriser ce flot de pensées, cette honte, cette indignation, cette fureur ? Cela ne ressemblait qu'à la descente des glaces sur la Néva : il faut que les énormes glaçons, pareils à des étoiles en morceaux, se heurtent, se battent, s'entre-détruisent jusqu'au moment où ils disparaîtront sous les calmes remous de la mer. Il faut subir cette pensée, l'épuiser dans ses bonds désordonnés, jusqu'au moment

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