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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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policier. Dans cet angle était la malle, cerclée de fer, où l'on trouva le corps de la fille assassinée, découpé en morceaux. L'angle sentait le phénol. Les lampes éteintes, la chambre fut pleine, du miroir au plafond, d'arabesques lumineuses en bleu de néon projetées de la rue à travers les rideaux. Xénia y découvrit tout de suite des visions familières à son enfance : le loup, les poissons, le rouet de la sorcière, le profil d'Ivan le Terrible, l'arbre ensorcelé. Si fatiguée de penser et d'errer qu'elle s'endormit tout de suite. La fille assassinée souleva timidement le couvercle de la malle, se leva, étira ses membres meurtris. « N'ayez pas peur, lui dit Xénia, je sais que nous sommes innocentes. » Elle avait une chevelure de naïade, la fille assassinée, et des yeux apaisants, pareils aux marguerites des champs. « Nous lirons ensemble le conte du Poisson d'Or, écoutez cette musique… » Xénia la prit dans son lit pour la réchauffer… En bas, derrière la loge du portier, le patron de l'Hôtel des Deux Lunes conversait au téléphone avec M. Lambert, commissaire adjoint du quartier.
    La vie recommence à chaque réveil. Trop jeune pour désespérer, Xénia se sentit délivrée du cauchemar. S'il n'y avait pas de procès, Roublev vivrait. Il était impossible qu'on le tuât, lui si grand, si simple, si sûr, et Popov le savait, le chef ne pouvait pas l'ignorer. Xénia se sentit légère, s'habilla, se retrouva jolie dans la glace. Mais où mettais-je hier la malle de l'assassinat ? Elle fut contente de n'avoir pas eu peur. On frappa doucement à la porte, elle ouvrit. Quelqu'un de large d'épaules, avec un large visage bas et triste lui apparut dans la pénombre du corridor. Ni connu ni inconnu, un vague visage charnu. D'une voix épaisse et veloutée, le visiteur se présenta :
    – Krantz.
    Il entrait, inspectait la chambre, jugeait tout. Xénia couvrit le lit défait.
    – Xénia Vassiliévna, je viens vous chercher de la part de votre père. L'auto vous attend à la porte. Venez.
    – Et si je ne veux pas ?
    – Je vous donne ma parole que vous ferez ce que vous voulez. Vous n'avez pas trahi, vous ne trahirez jamais, je ne viens pas vous faire violence. Le parti a mis sa confiance en vous comme en moi. Venez.
    Dans la voiture, Xénia se révolta. Krantz, tourné de trois quarts vers elle et qui feignait de s'occuper de sa pipe, sentait venir l'orage. L'auto suivait la rue de Rivoli. Jeanne d'Arc, dédorée, mais encore très belle, sur son petit socle entouré d'une grille, brandissant une épée enfantine.
    – Je veux descendre, dit fermement Xénia, et elle se leva à demi.
    Krantz, lui saisissant le bras, l'obligea à se rasseoir.
    – Vous descendrez si vous voulez, Xénia Vassiliévna, je vous le promets, mais ce ne sera pas si simplement.
    Il baissa la vitre du côté de Xénia. La colonne Vendôme disparut au fond d'une perspective d'arcades, dans la clarté pâle.
    – Ne soyez pas impulsive, je vous en prie. Faites délibérément ce que vous voulez faire. Il y a plusieurs agents de police sur le parcours. Nous allons lentement. Libre à vous d'appeler, je ne m'y opposerai pas. Vous vous mettrez, vous, citoyenne soviétique, sous la protection de la police française… On me demandera mes papiers. Vous vous en irez. Les éditions spéciales de trois heures annonceront votre évasion, c'est-à-dire votre trahison. Jetez votre petit paquet de boue sur l'ambassade, sur votre père, sur notre parti, sur notre pays. Je prendrai seul l'avion de mercredi et je payerai pour vous, avec Popov. Vous connaissez la loi : les proches parents des traîtres doivent être, pour le moins, déportés dans les régions les plus reculées de l'Union.
    Il s'écartait un peu, admirait la naïade en écume blanche qui formait le corps de sa belle pipe, ouvrait sa blague à tabac, disait au chauffeur :
    – Fédia, aie la bonté de ralentir en passant à la hauteur des agents de police.
    – J'obéis, camarade chef.
    Les mains de Xénia se nouaient presque douloureusement. Elle regarda les courtes pèlerines des sergents de ville avec haine. Elle dit :
    – Que vous êtes fort, camarade Krantz, et que vous êtes méprisable !
    – Ni si fort ni si méprisable qu'il vous semble. Je suis fidèle. Et vous aussi, Xénia Vassiliévna, vous devez être fidèle, quoi qu'il advienne.
    Ils prirent ensemble, au Bourget, l'avion de mercredi. La tour Eiffel s'amenuisa, collée à la terre, le sobre dessin

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