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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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soir. Que vous répondiez de Roublev, que vous proclamiez son innocence : Roublev appartient à la science !
    Le professeur Passereau soupira profondément. La porte s'entrouvrit, une carte de visite lui fut passée sur un plateau. Il regarda l'heure à sa montre, dit :
    – Priez ce monsieur de patienter un moment…
    Quels que soient les drames qui bouleversent de lointaines révolutions, nous avons nos obligations quotidiennes. L'intervention de la carte de visite lui rendait l'élocution.
    – Mademoiselle, ne doutez pas que je… Vous me voyez ému plus que je ne saurais dire… Observez toutefois que je n'ai rencontré Roublev, que je respecte, qu'une fois dans ma vie, à une réception… Comment pourrais-je répondre de lui en des circonstances si complexes ? Que ce soit un homme de science de haute valeur, je n'en doute pas et j'espère avec vous, de toute mon âme, qu'il sera conservé à la science… J'ai pour la justice de votre pays un respect absolu… Je crois en la bonté des hommes, même à notre époque… Si Roublev était (je le dis par pure hypothèse) coupable dans quelque mesure, la magnanimité du chef de votre parti lui laisserait encore de grandes chances de salut, j'en suis convaincu… Personnellement, mes vœux les plus ardents sont avec lui, avec vous, mademoiselle, dont je partage l'émotion, mais je ne vois vraiment pas ce que je pourrais faire… Je me suis fait une règle de ne jamais intervenir dans les affaires intérieures de votre pays, c'est pour moi une question de conscience… Le Comité de la Ligue ne se réunit qu'une fois par mois, sa prochaine réunion est fixée au 27, dans trois semaines, et je n'ai pas qualité pour le convoquer auparavant, n'étant que le vice-président… La Ligue, en outre, a strictement pour objet de combattre le fascisme ; la proposition d'une démarche contraire à nos statuts, même émanant de moi, risquerait de provoquer les plus vives objections… En insistant, nous risquerions d'ouvrir une crise au sein de cette organisation qui a pourtant une noble mission à remplir. Les campagnes que nous poursuivons pour Carlos Prestes, pour Thaelmann, pour les Juifs persécutés, pourraient en souffrir. Vous me suivez bien, mademoiselle ?
    – Je le crois ! dit brutalement Xénia. Vous ne voulez donc rien faire ?
    – J'en suis désespéré, mademoiselle, mais vous vous exagérez beaucoup mon influence… Croyez-moi… Voyons, rendez-vous compte, que pourrais-je faire ?
    Les yeux de Xénia, grands et clairs, le regardaient avec froideur.
    – Et que l'on fusille un Roublev, ça ne vous empêchera pas de dormir, n'est-ce pas ?
    Le professeur Passereau répondit tristement :
    – Vous êtes bien injuste, mademoiselle, mais le vieillard que je suis vous comprend…
    Elle ne le regarda plus, ne lui tendit pas la main, elle marcha, la face dure, sur le trottoir de la rue bourgeoise où personne ne passait. « Sa science est infâme, ses instruments sont infâmes, la couleur brune de son cabinet est infâme ! Et Kiril Roublev est perdu, les nôtres sont tous perdus, il n'y a plus d'issue, plus d'issue. »
    À la rédaction d'un hebdomadaire de presque extrême gauche, un autre professeur, trente-cinq ans, l'écouta comme si ce fût pour lui l'annonce d'une grande douleur. N'allait-il pas s'arracher les cheveux, se tordre les bras ? Il n'en fit rien. Jamais il n'avait entendu parler de Roublev, mais ces drames russes le hantaient jour et nuit.
    – Ce sont des tragédies shakespeariennes… Mademoiselle, j'ai poussé un cri d'indignation dans ce journal. « Clémence ! », ai-je crié au nom de notre amour et de notre dévotion pour la révolution russe. Je n'ai pas été entendu, j'ai suscité des réactions qu'il faut aussi comprendre en toute bonne foi, j'ai offert ma démission à notre Comité directeur… Aujourd'hui, en raison de la situation politique, des articles semblables ne pourraient plus passer. Nous représentons l'opinion moyenne d'un public attaché à plusieurs partis ; la crise ministérielle, dont les journaux ne parlent pas encore, met en question l'œuvre entière des dernières années… Un conflit avec les communistes en ce moment pourrait avoir les plus fâcheuses conséquences… Et sauverions-nous Doublev ?
    – Roublev, rectifia Xénia.
    – Oui, Roublev, le sauverions-nous ? Ma triste expérience ne me permet pas de le croire… Je ne vois vraiment pas que tenter… Tout ce que je pourrais essayer c'est d'aller voir tout à

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