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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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des jardins s'étala autour d'elle, l'Arc de Triomphe ne fut, pendant un instant, qu'une pierre rectangulaire au centre d'une étoile de chaussées. Ce merveilleux Paris disparut sous les nuages, laissant à Xénia le regret d'un monde effleuré qu'elle n'avait pas compris, que peut-être elle ne comprendrait jamais. « Je n'ai rien pu faire pour sauver Roublev, je me battrai pour lui à Moscou, pourvu que nous arrivions à temps ! J'obligerai mon père à agir, je demanderai une audience au chef. Il nous connaît depuis tant d'années qu'il ne refusera pas de m'entendre et, s'il m'entend, Roublev sera sauvé. » Xénia imagina dans son rêve éveillé l'entrevue avec le chef. Sans crainte, avec confiance, sans humilité, en sachant bien qu'elle n'était rien et qu'il était, lui, l'incarnation du parti pour lequel nous devons tous vivre et mourir, elle serait brève et directe, car ses minutes sont précieuses. Il a tous les problèmes de la sixième partie du monde à résoudre chaque jour ; il faudrait lui parler de toute son âme pour le convaincre en quelques instants… Krantz, prévenant, la laissait à ses pensées. Lui-même lisait tantôt des magazines stupides, tantôt des revues militaires en plusieurs langues. Le poème des nuages se déployait au-dessus des terres mouvantes. Les fleuves descendant des lointains enchantaient la vue. – Ils dînèrent à peu près gaiement à Varsovie. Plus que Paris, cette ville paraissait d'élégance et de luxe, mais du ciel on la voyait entourée d'espaces pauvres et comme menaçants ; bientôt se montrèrent à travers les déchirures des nuées de vastes forêts sombres…
    – Nous approchons, murmura Xénia, prise d'une joie si poignante qu'elle eut un élan vers son compagnon de voyage.
    Krantz se pencha vers le hublot et il parut las, et il dit avec un contentement triste :
    – Ce sont déjà les terres des kolkhozes, voyez les petites parcelles ont disparu…
    C'étaient des champs infinis d'une couleur indécise, entre l'ocre et le brun grisaillant.
    – Nous serons à Minsk dans vingt minutes…
    De dessous la Revue de l'Infanterie française, il tira Vogue et feuilleta ces pages de papier glacé.
    – Xénia Vassiliévna, veuillez m'excuser. J'ai des instructions précises. Je vous prie de vous considérer comme en état d'arrestation. À partir de Minsk, la Sûreté s'occupera de votre voyage… Ne soyez pas trop inquiète, j'espère que tout s'arrangera bien.
    Sur la couverture du magazine, d'élégants visages chapeautés, sans yeux, montraient leurs lèvres peintes en plusieurs nuances de rouge, selon le teint. À cinq cents mètres au-dessous, entre des terres fraîchement labourées, des paysans vêtus de haillons couleur de terre suivaient une charrette lourdement chargée. On les voyait encourager le petit cheval éreinté et travailler à dégager les roues qui enfonçaient dans l'ornière.
    – Je ne pourrai donc rien pour Roublev, pensa Xénia, dévastée. Ils ne pouvaient rien pour personne au monde, ces paysans avec leur charrette embourbée, et personne au monde ne pourrait rien pour eux. Ils disparurent, la terre nue se rapprochait doucement.
    Depuis le télégramme criminellement insensé de sa fille, le camarade Popov flottait entre l'inquiétude et l'abattement ; réellement tourmenté d'ailleurs par ses rhumatismes. Un froid évident se faisait autour de lui. Le nouveau procureur au Tribunal suprême, Atkine, qui enquêtait sur l'activité de son prédécesseur, poussait l'insolence voilée jusqu'à s'excuser par deux fois quand Popov l'invitait ou se faisait annoncer chez lui. Venu flairer l'air du Secrétariat général, Popov n'y rencontra que des mines distraites qui lui parurent hypocrites. Personne ne s'empressa à sa rencontre. Gordéev, accoutumé à le consulter sur les affaires courantes, ne se montra pas pendant plusieurs jours. Mais il vint le quatrième jour, vers six heures du soir, ayant appris que Popov, indisposé, ne sortait pas. Les Popov occupaient une villa du C.C. dans les bois de Bykovo. Gordéev arriva en uniforme. Popov le reçut en robe de chambre ; il marchait sur le tapis en s'aidant d'une canne. Gordéev commença par le questionner sur ses rhumatismes, proposa de lui envoyer un médecin que l'on disait tout à fait remarquable, n'insista pas, accepta un verre de cognac. L'ameublement, les tapis, tout dans cet intérieur tranquille et poussiéreux en apparence, bien qu'il n'y eût pas de poussière, était

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