L'affaire Toulaév
épizooties achevèrent les derniers chevaux vers le moment où fut enfin sérieusement établie à Moltchansk la Station de machines et tracteurs (S.M.T.). L'arrestation du vétérinaire du rayon, probablement coupable puisqu'il appartenait à la secte des baptistes, n'amena aucune amélioration. La difficulté des communications routières avec le centre régional fit que la S.M.T. souffrit tout de suite du manque de pièces de rechange pour les réparations des machines et du manque de carburant. Situé sur la Séroglazaya, la rivière-aux-yeux-gris, le vieux village de Pogoréloé, ainsi nommé afin de perpétuer le souvenir des incendies d'autrefois, se trouvant l'un des plus éloignés de la S.M.T., fut l'un des derniers servis. La force motrice lui fit défaut et les moujiks mirent peu de bonne volonté à ensemencer des terres qu'ils ne considéraient plus comme les leurs, sous le contrôle d'un président de kolkhoze communiste, un ouvrier de la fabrique de vélos de Penza, mobilisé par le parti et envoyé par le centre régional. Ils se doutaient bien que l'État leur prendrait presque toute la récolte. Trois récoltes furent déficitaires. La famine gagnait de proche en proche, tout un groupe d'hommes se réfugia dans le bois, ravitaillés par les familles que, cette fois, les autorités n'osèrent pas déporter. La famine emporta les petits enfants, la moitié des vieillards et même quelques adultes. Un président de kolkhoze fut noyé dans la Séroglazaya, une pierre au cou. Le nouveau statut, plusieurs fois remanié par le C.C. refit une paix précaire en rétablissant, dans l'exploitation collective, des propriétés familiales ; le kolkhoze, visité par un bon agronome, reçut des semences de choix et des engrais chimiques, il y eut un été exceptionnellement chaud et humide, des blés magnifiques levèrent malgré la colère et la division des hommes ; l'on manqua de main-d'œuvre pour faire la moisson et une partie de la récolte pourrit sur place. L'ouvrier de la fabrique de vélos, jugé pour incapacité, incurie, abus de pouvoir, prit trois ans de travaux forcés. « Je souhaite bien du plaisir à mon successeur », dit-il simplement. La direction du kolkhoze passa au président Vaniouchkine, qui était du village, communiste récemment démobilisé du service militaire. En 1934-1935, du fond de la famine, le kolkhoze entra en convalescence grâce aux nouvelles directives du C.C. au rythme bienfaisant des pluies et des neiges, à des saisons clémentes, à l'énergie des jeunes communistes et, de l'avis des vieilles femmes et de deux ou trois barbus très croyants, grâce au retour de l'homme de Dieu, le père Guérassime, amnistié à la fin de ses trois années de déportation. Les crises saisonnières se suivirent cependant, bien qu'il ne fût pas niable que le plan des cultures, la sélection des semences, l'emploi des machines accrussent sensiblement le rendement des terres. L'on vit arriver, pour rétablir « définitivement » la situation, l'agronome Kostioukine, curieux personnage, puis un militant des Jeunesses, envoyé par le Comité régional, que tout le monde appelait familièrement Kostia. Peu de temps avant les semailles d'automne, l'agronome Kostioukine constata qu'un parasite s'était attaqué aux semences (dont une partie avait été volée auparavant). La station de M. et T. ne livra qu'un tracteur au lieu des deux promis et des trois reconnus indispensables ; et ce tracteur unique manqua d'essence. L'essence reçue, il eut une avarie. Les labours se firent péniblement, en retard, avec les chevaux, mais les chevaux n'ayant pu, dès lors, assurer le ravitaillement régulier du kolkhoze par les coopératives du rayon, le kolkhoze manqua d'articles manufacturés. La moitié des camions du rayon étaient immobilisés faute d'essence. Les femmes commencèrent à murmurer que l'on s'acheminait vers une nouvelle famine et que ce serait la juste punition de nos péchés.
C'est un pays plat, légèrement vallonné, aux lignes sévères sous les nuages où l'on voit distinctement des mêlées d'archanges blancs se poursuivre d'un horizon à l'autre. Par les chemins détrempés, boueux ou poussiéreux selon la saison, le rayon, Moltchansk, est à une soixantaine de kilomètres ; la station du chemin de fer est à une quinzaine de kilomètres du rayon, la grande ville la plus proche, centre régional, à cent soixante-dix kilomètres par la voie ferrée. En somme, une situation
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