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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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le bâtisseur Makéev, misérable ? Me tuer pour une caissière blonde, sotte que tu es ?
    La colère montait en lui, au travers de ces paroles claires.
    – Oui, dit Alia, faiblement.
    – Imbécile, imbécile ! On t'aurait gardée six mois dans une cave, y as-tu pensé ? Puis une nuit, vers deux heures du matin, on t'aurait emmenée derrière la gare et envoyé une balle là, tiens, là (il lui plaça une dure chiquenaude sur la nuque), comprends-tu ? Veux-tu qu'on divorce ce matin même ?
    Elle dit rageusement :
    – Oui.
    Et en même temps plus bas, ses longs cils abaissés :
    – Non. Tu es un menteur et un traître, répétait-elle avec une sorte d'automatisme en essayant de rassembler ses idées.
    Elle continua :
    – On a tué Toulaév pour moins et tu t'en es réjoui. Tu l'avais pourtant aidé à organiser la famine, tu le disais assez souvent ! Mais lui n'a peut-être pas menti à une femme, comme toi !
    C'était de si terribles propos que Makéev ouvrit sur sa femme des yeux affolés. Il se sentit désespérément débile. La fureur seule l'empêcha de défaillir. Il éclata :
    – Jamais ! Jamais je n'ai dit ni pensé ton criminel galimatias… Tu es indigne du parti… Saleté !
    Il erra dans la chambre en tous sens, en gesticulant comme un dément. Alia, allongée sur le divan, le visage dans les coussins, ne bougeait pas. Il revint tout à coup vers elle, une ceinture de cuir à la main, lui écrasa la nuque de sa main gauche, et de la droite frappa, fouetta, fouetta à en perdre haleine le corps à peine couvert de soie qui se convulsait doucement sous sa poigne… Quand ce corps cessa de bouger, quand le souffle gémissant d'Alia parut s'éteindre, Makéev, apaisé, se retourna, s'écarta, revint essuyer doucement avec un tampon imbibé d'eau de Cologne le visage de sa femme devenue en quelques instants laide, d'une laideur pitoyable de petite fille… Il alla chercher de l'ammoniaque, mouilla des essuie-mains, fut diligent et habile ainsi qu'un bon infirmier… Et, reprenant ses sens, Alia vit penchés sur elle les yeux verts de Makéev, aux prunelles rétrécies, pareils à des yeux de chat… Artème lui embrassa lourdement, chaudement le visage, puis se détourna d'elle.
    – Repose-toi, petite sotte, je vais travailler.
    La vie normale reprit pour Makéev, entre Alia silencieuse et la dame de carreau, envoyée par précaution aux chantiers de la nouvelle usine électrique, entre plaine et forêt, où elle dirigeait l'enregistrement du courrier. Ces chantiers travaillaient vingt-quatre heures par jour. Le secrétaire du Comité régional y faisait de fréquentes apparitions afin de stimuler l'effort des brigades d'élite, de suivre lui-même l'exécution des plans hebdomadaires, de recevoir les rapports du personnel technique, de contresigner les télégrammes adressés chaque jour au Centre… Il en revenait épuisé, sous les étoiles limpides. (Pendant ce temps, quelque part dans la ville, des mains inconnues, travaillant au cœur du mystère, découpaient obstinément dans des journaux des lettres d'alphabet de toutes dimensions, les collectionnaient, les alignaient sur des feuilles de cahier ; il en faudrait bien cinq cents pour l'épître méditée. Ce patient travail s'accomplissait dans la solitude, le mutisme, l'éveil de tous les sens ; les journaux mutilés, alourdis d'une pierre, descendaient au fond d'un puits, car les brûler eût fait de la fumée – pas de fumée sans feu n'est-il pas vrai ? Les mains secrètes apprêtaient l'alphabet démoniaque, l'esprit ignoré du monde réunissait les traits, les indices épars, les éléments infinitésimaux de plusieurs certitudes cachées, inavouables…)
    Makéev projetait de se rendre à Moscou pour y débattre avec les dirigeants de l'électrification la question des matériaux déficitaires ; par la même occasion, il informerait le C.C. et l'Exécutif central des progrès réalisés au cours du semestre dans l'aménagement des routes et l'irrigation (grâce à la main-d'œuvre pénitentiaire à bon marché) ; peut-être ces progrès compenseraient-ils le dépérissement de l'artisanat, la crise de l'élevage, le mauvais état des cultures industrielles, le ralentissement du travail aux ateliers du chemin de fer… Il reçut avec plaisir le bref message – confidentiel, urgent – du C.C. l'invitant à assister à une conférence des secrétaires régionaux du Sud-Ouest. Parti deux jours d'avance, Makéev dépouilla allègrement dans

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