Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
Vom Netzwerk:
haut-le-corps violent qui faillit l'arracher à toutes ces mains, à toutes ces épaules, mais elles s'alourdirent, le clouèrent sur place :
    – Pas de scandale, camarade Makéev, répétait la voix persuasive. Tout s'arrangera sans doute, ce ne doit être qu'un malentendu, obéissez aux ordres… Pas de bruit, hein ! vous autres !
    Makéev se laissait entraîner, presque emporter. On lui passa sa pelisse, deux hommes le prirent par les bras, d'autres le précédaient et le suivaient, ils marchaient ainsi à travers des pénombres agglomérées, comme un seul être, remuant maladroitement des jambes multipliées. L'étroit couloir les écrasa, trébuchant les uns sur les autres. Derrière une légère cloison voisine, l'orchestre éclata, avec une prodigieuse douceur. Quelque part dans les prairies, au bord d'un lac argenté, des milliers d'oiseaux saluaient l'aurore, la lumière montait de seconde en seconde, un chant s'y mêla, une pure voix de femme s'avança à travers ce matin d'outre-monde…
    – Doucement, faites attention aux marches, souffla quelqu'un à l'oreille de Makéev, et il n'y eut plus ni matin, ni chant, ni rien, mais la nuit froide, une voiture noire, l'inimaginable…

5. LE VOYAGE DANS LA DÉFAITE
    Ivan Kondratiev subit, avant d'arriver à Barcelone, plusieurs transformations ordinaires. Il fut tout d'abord M. Murray-Barren de Cincinnati (Connecticut, U.S.A.), photographe de la Mondial-Photo-Press, se rendant de Stockholm à Paris par Londres… Conduit par un taxi aux Champs-Élysées, il erra un moment à pied, une petite valise rousse à la main, entre la rue Marbeuf et le Grand Palais ; on le vit s'arrêter devant le Clemenceau déguisé en vieux soldat, qui chemine sur un bloc de pierre à l'angle du Petit Palais. Le bronze glaçait l'élan du vieillard, et c'était parfait. On marche ainsi quand on est au bout du chemin, quand quand on n'en peut plus. « Pour combien de temps encore, dur vieillard, as-tu sauvé un monde finissant ? Tu n'as peut-être fait que mieux enfoncer dans le roc la mine qui le fera sauter ? » – « Je les ai foutus dans le pétrin pour cinquante ans… », murmurait amèrement le vieil homme de bronze. Kondratiev le considéra avec une secrète sympathie. Il lut, amusé, sur une plaque de marbre blanc encastrée dans le roc : Cogné, sculpteur. Deux heures plus tard, M. Murray-Barren sortait d'une maison d'aspect clérical du quartier Saint-Sulpice, toujours portant sa légère valise rousse, mais devenu M. Waldemar Laytis, citoyen letton, délégué en Espagne par la Croix-Rouge de son pays. De Toulouse, survolant des paysages imprégnés d'une lumière heureuse, les sommets rouillés des Pyrénées, Figueras assoupie, les collines de Catalogne dorées ainsi qu'une belle chair, un avion d'Air France transporta M. Waldemar Laytis à Barcelone. L'officier du contrôle international de la non-intervention, un Suédois méticuleux, dut penser que la Croix-Rouge des pays baltes déployait dans la péninsule une louable activité : M. Laytis étant bien le cinquième ou sixième délégué qu'elle envoyait contempler dans les villes ouvertes les effets des bombardements aériens. Ivan Kondratiev observant un mouvement d'attention sur le visage de l'officier, se dit seulement que le service de liaison devait abuser du truc. À l'aérodrome du Prat, un colonel replet, à lunettes, adressa des compliments à M. Laytis, d'une voix très onctueuse, le fit monter dans une belle auto dont la carrosserie portait élégamment quelques éraflures de balles, dit au chauffeur : Vaya, amigo. Ivan Kondratiev, messager d'une puissante révolution victorieuse, songea qu'il pénétrait dans une révolution bien malade.
    – La situation ?
    – Assez bonne. Je veux dire pas tout à fait désespérée… On compte beaucoup sur vous. Un bateau grec sous pavillon britannique coulé cette nuit au large des Baléares : munitions, bombardements, tirs d'artillerie, le vacarme quotidien… No importa. Rumeurs de concentrations dans la région de l'Ebre. Es todo.
    – À l'intérieur ? Les anarchistes ? Les trostkystes ?
    – Les anarchistes plutôt raisonnables, problablement finis…
    – Puisqu'ils sont raisonnables, dit doucement Kondratiev.
    – Les trostkystes presque tous en prison…
    – Très bien. Mais vous avez tardé, dit Kondratiev sévèrement et quelque chose en lui se contracta.
    Une ville, éclairée avec une somptueuse douceur par le soleil des fins d'après-midi, s'ouvrit

Weitere Kostenlose Bücher