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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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à la Sûreté, et des équipes d'inquisiteurs, des prisons secrètes, ils tenaient tout par les liens serrés de l'intrigue, de la peur, du chantage, de la faveur, de la discipline, du dévouement, de la foi. Le gouvernement, réfugié au monastère de Montserrat, dans un site de rocs hérissés, ne pouvait plus rien. Les communistes tenaient mal la ville où commençaient à rôder autour de leurs organisateurs des haines mortelles.
    – Le jour n'est pas loin, je vous dis, où ils se feront mettre en pièces dans les rues, par la populace. On brûlera leurs nids à délations comme on a brûlé les couvents. J'ai bien peur que ce ne soit trop tard, après la dernière défaite, dans la dernière pagaille.
    Stefan répondait :
    – Ils vivent du mensonge le plus vaste et le plus révoltant que l'histoire connaisse depuis l'escamotage du christianisme – un mensonge qui contient beaucoup de vérité… Ils se réclament de la révolution accomplie – accomplie, c'est vrai –, ils arborent les drapeaux rouges, ils font ainsi appel au plus puissant, au plus juste instinct des masses ; ils prennent les hommes par leur foi et c'est pour la dérober, cette foi, s'en faire un instrument de puissance. Leur plus redoutable force vient encore de ceci, que la plupart d'entre eux croient eux-mêmes continuer la révolution en servant une contre-révolution nouvelle, telle qu'il n'y en eut jamais jusqu'ici, installée dans les appartements mêmes où travailla Lénine… Concevoir ça : un type au yeux jaunes a volé les clés du Comité central ; il est venu, s'est installé devant le bureau du vieil Illitch, a pris le téléphone, a dit : « Prolétaires, c'est Moi. » Et la même T.S.F. qui répétait la veille : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous », s'est mise à clamer : « Écoutez-nous, obéissez-nous, tout nous est permis, la révolution c'est nous… » Peut-être le croit-il, mais alors c'est un demi-fou, plus probablement ne le croit-il qu'à demi parce que les médiocres accordent leur conviction aux situations qu'ils subissent. Derrière lui montent, grouillant comme des rats, les profiteurs, les lâches bien-pensants, les timorés, les nouvellement installés, les arrivistes, les aspirants arrivistes, les mercantis, les laudateurs des forts, les vendus d'avance à tous les pouvoirs, cette vieille tourbe qui va au pouvoir parce que c'est le vieux moyen de prendre au prochain sa peine, les fruits de sa peine, sa femme si elle est belle, sa demeure si elle est confortable. Et cette multitude se met à gueuler, ça fait vraiment le chœur le plus unanime du monde : « Vive notre bifteck, vive notre chef c'est nous la révolution, c'est pour nous que les armées en guenilles ont vaincu, admirez-nous, donnez-nous des honneurs, des places, de l'argent, gloire à Nous, malheur à qui s'oppose à Nous ! » Que veux-tu que les pauvres gens y fassent ? Que veux-tu que nous y fassions, nous ? Toutes les issues sont bien gardées, toutes les rotatives gardées, des fonctionnaires et des idéalistes remplissent les gazettes pour démontrer la nouvelle vérité officielle, les haut-parleurs la proclament, on la démontre par les défilés d'enfants des écoles sur la place Rouge, par la descente des parachutistes du haut du ciel, par les manifestations ouvrières mobilisées comme ailleurs les parades de l'armée… On la démontre par la construction des usines, l'inauguration des stades, le survol du pôle, les congrès des savants. L'art du dictateur consiste à se faire gloire utilitairement des nouvelles méthodes de traitement du cancer, ou des nouvelles recherches entreprises dans la stratosphère sur les rayons cosmiques : confisquer à son profit politique toute l'œuvre accomplie, malgré lui, par les hommes. À partir du moment où cette formidable escroquerie est consommée, tout commence à se stabiliser internationalement. Les maîtres du vieux monde se reconnaissent en celui qui, à leurs yeux, rétablit l'ordre puisqu'il ramène un pouvoir de même essence que le leur, au fond…
    – Autrefois, une frontière visible divisait la société ; sur cette frontière, on se battait, on pouvait vivoter paisiblement, sans trop d'illusions ni de désespoir, selon l'époque. Les régimes établis avaient leurs maladies, bien connues, leurs tares originelles, leurs crimes naturels faciles à dénoncer. Les classes ouvrières réclamaient du pain, des loisirs, des libertés, de l'espoir… Les hommes les

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