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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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difficile de surmonter. Les classes ouvrières en sont malades. Il nous faut beaucoup de victoires et quelques sales mais fortes vengeances pour en guérir et même y trouver les éléments d'un nouveau complexe de supériorité dont nous avons absolument besoin pour changer… Combien d'entente, d'organisation, d'intelligence condamnée faut-il, me disais-je, pour réussir ce qu'ils font là-bas ! C'est ce qui m'amena à l'idée du parti. Puis je commençai de souffrir, sans bien comprendre pourquoi, en apprenant les nouvelles de Russie. Si les Russes étaient demeurés fidèles à eux-mêmes, si grands, avec ce sentiment de supériorité qu'ils nous donnaient, cette lumière dure qu'ils nous apportaient, je ne sais pas ce que nous aurions fait ici et ailleurs, je sais que c'eût été formidable. Mais ils mettaient l'anarchisme hors la loi tandis que nous vivions d'un anarchisme primitif ; ils mettaient le marxisme en formules abrégées, l'ouragan en petits comprimés portatifs pour l'exportation ; ils parlaient un langage théorique que nous ne pouvions pas pénétrer à cause de notre vieille théorie humanitaire et de leur galimatias qui eût sûrement fait vomir Marx. Et voilà pourquoi nous crevons aujourd'hui, mon ami, une vingtaine d'années après, voilà pourquoi tant de braves gars se sont fait enterrer sous de la chaux vive, dans toutes nos sierras… Quand le roi s'est sauvé, le pouvoir s'est trouvé vacant à Madrid, il n'y a eu personne pour ramasser le bâton de commandement, les portefeuilles ministériels, les sceaux de l'État, les tampons à tamponner les décrets qui traînaient dans les poubelles ou à côté. Les révolutionnaires sans cervelle que nous étions n'y ont pas songé. D'insurgés, nous aurions dû nous improviser quelque peu chiffonniers, quelque peu arrivistes, quelque peu profiteurs, quelque peu imposteurs. Alors, ce sont naturellement les bourgeois qui ont ramassé le pouvoir. Ils ont, eux, l'expérience de ça, ils te fabriquent un magnifique ministère dans un café avec M. Alcala Zamora, M. Maura et d'autres croque-morts de cette banale espèce, et le lendemain on les entend parler d'ordre et d'autorité, ça y est, les journaux donnent les portraits des nouveaux messieurs, une constitution est votée, la guardia civil rassurée déloge à coups de fusil, d'une mairie de village, à Casas Viejas ou ailleurs, les copains ingénus qui viennent d'y proclamer la république libertaire universelle ! Le châtiment de ce crime épouvantable fait verser leur légère cervelle sur les pavés.
    – Quelle victoire on pouvait remporter ici ! Personne ne l'a conçue, personne n'a su en discerner les chemins, ç'a été presque une bousculade d'aveugles… De bons militants, des militants capables de tout improviser, de se transformer en héros à chaque coin de rue, nous en avons eus par dizaines de milliers, mais pas une seule tête qui pût embrasser la situation, voir loin, penser audacieusement, exprimer en un langage décisif ce que tout un peuple espérait sans le bien discerner lui-même, ce que voulaient des millions d'hommes tâtonnants ; pas une équipe cohérente d'hommes de bonne volonté assez lucides, assez courageux… Nous périssons de ce manque d'hommes parmi des millions d'hommes.
    Ils jugeaient leur propre parti avec attachement et sévérité : trop faible, manquant de figures de premier plan, écrasé sous le poids de fautes antérieures à sa naissance, décimé par la persécution. Sitôt que se lève une tête, il est facile de l'abattre, surtout si c'est par-derrière…
    – Les banquiers de Londres ne veulent pas d'une Espagne socialiste ; plutôt que de nous voir vaincre, ils préfèrent compromettre la sécurité des routes de l'Empire… C'est d'ailleurs l'avis de tous les financiers du monde. Plutôt la guerre universelle, demain ! Ils l'auront. Ils payeront cher leur égoïsme sacré… Mince consolation pour nous. L'U.R.S.S. du chef génial ne craint rien tant qu'une jeune révolution vivante. Elle nous sèvre d'armes et nous poignarde doucement. Nous ne sommes peut-être pour son chef qu'une pièce sur l'échiquier… Nous sommes seuls, absolument seuls au monde, avec nos dernières mitraillettes, nos dernières machines à écrire, nos trois douzaines de derniers camarades, sans moyens et divisés entre eux, dispersés dans les deux hémisphères…
    – Le pis c'est que les gens en ont assez de tout. Buvons la défaite, buvons n'importe quoi,

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