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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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reposaient sur quelque chose de dur, le bien-être un peu bizarre du réveil se répandait dans ses membres, surmontant une courbature et une anxiété. Qu'était-il advenu ? Suis-je malade ? Annie ? Voyons, Annie ? Il entrouvrit pesamment les paupières, eut peur d'ouvrir tout à fait les yeux, ne comprit pas tout d'abord, car tout son être reculait devant l'effrayante nécessité de comprendre, vit quand même, l'espace d'une fraction de seconde et referma, cette fois volontairement, les paupières.
    Un personnage olivâtre, crâne rasé, pommettes osseuses, tempes fuyantes, se penchait sur lui. Au col, des insignes d'officier. Une chambre inconnue, exiguë, blanche où flottaient d'autres visages épars dans une lumière dure. L'épouvante prit Stefan à la gorge, l'épouvante descendit ainsi qu'une eau glacée, lentement jusqu'aux extrémités de ses membres. Et il perçut sous ce frisson qu'une chaleur bienfaisante baignait encore son être. « On a dû me faire une piqûre de morphine. » Ses paupières se ressoudaient d'elles-mêmes. Se rendormir, fuir ce réveil, se rendormir.
    – La syncope est finie, dit le personnage aux tempes fuyantes. Et il dit encore, ou le pensa très distinctement : Maintenant, c'est une feinte.
    Stefan perçut qu'une main musclée lui saisissait le poignet, tâtant son pouls. Il s'appliqua à se bien ressaisir : maîtriser ce flot glacé qui lui dévastait l'être. Il y réussit sans que le frisson cessât. Le souvenir de ce qui venait de se passer apparut, d'une netteté irrémédiable. Vers neuf heures du matin, comme il s'apprêtait à se raser, Annie dit : « Je vais aux provisions, n'ouvre à personne. » La porte du jardin refermée sur Annie, il erra un instant dans les allées embroussaillées, singulièrement oppressé, ne trouvant de réconfort ni dans les fleurs ni dans l'air matinal. La colline voisine commençait à flamboyer sous le soleil déjà torride. Les chambres blanches lui furent hostiles ; Stefan vérifia son browning, fit glisser le chargeur ; il essaya de secouer son malaise, s'approcha de la machine à écrire, prit enfin le parti de se raser comme d'habitude. « Les nerfs, nom de Dieu… » Il s'essuyait le visage en s'efforçant à lire, debout, devant un numéro de revue ouvert sur la table, quand le sable de l'allée cria sous un pas insolite ; il y eut aussi le sifflotement convenu, mais comment avait-on ouvert la porte ? Annie si vite de retour ? Elle ne sifflerait pas. Stefan, le pistolet au poing, se jeta dans le jardin aux fleurs ensauvagées. Quelqu'un venait vers lui en souriant, quelqu'un qu'il ne reconnut pas de prime abord, un camarade qui venait parfois, rarement, à la place de Jaime. Stefan n'aimait pas sa grosse face plate de singe puissant. « Salut ! Alors, je t'ai fait peur ? J'ai des lettres urgentes pour toi… » Stefan tendit la main, rassuré. « Bonjour, vieux… » La syncope commençait là, le cauchemar, le sommeil ; il avait dû être frappé à la tête (le souvenir indistinct d'une meurtrissure remontait de l'oubli ; une douleur sourde naquit au milieu de son front). Assommé par cet homme, ce camarade, ce misérable, entraîné, emporté, oui, par les Russes évidemment. L'eau glacée dans les entrailles. Nausée. Annie. Annie, Annie ! La débâcle de Stefan fut totale à cette seconde.
    – La syncope est finie, dit une voix posée, très proche.
    Stefan perçut qu'on le regardait de tout près, avec une attention presque violente. Il pensa qu'il fallait ouvrir les yeux. « On m'a fait une piqûre à la cuisse. Quatre-vingt-dix chances sur cent que je sois perdu… Quatre-vingt-quinze chances sur cent… Raisonnable en tout cas de l'admettre… » Il ouvrit résolument les yeux.
    Il se vit étendu sur le divan d'une confortable cabine de vaisseau.
    Boiseries claires. Trois visages attentifs penchés vers lui.
    – Vous allez mieux ?
    – Je vais bien, dit Stefan distinctement. Qui êtes-vous ?
    – Vous êtes détenu par le Service d'investigation militaire. Vous sentez-vous en état de subir l'interrogatoire ?
    Voilà donc comment ces choses-là se faisaient. Stefan voyait tout avec une sorte de détachement lointain… Il ne répondit rien mais considéra les trois visages : l'être entier tendu pour les déchiffrer. L'un s'écarta aussitôt de lui-même, inintéressant, vague, celui sans doute du médecin de bord, le personnage aux tempes fuyantes… Ce visage d'ailleurs se redressait, reculait vers la paroi,

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