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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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vous ignoriez que c'était un de nos agents les plus dévoués ?
    – Je l'ignorais, dit Erchov qui, à la vérité, ne se souvenait de rien.
    L'instruction, dépourvue de sens, lui rendit une ombre de confiance : si vraiment l'on n'avait à lui reprocher que des peccadilles ? – tout en lui donnant la sensation d'un danger grandissant. « En tout cas, je serai probablement fusillé… » Une phrase entendue autrefois au cours supérieur de l'Académie de Guerre, hantait sa mémoire : « Dans le rayon de l'explosion, la destruction de l'homme est instantanée et totale… » On est des soldats. Il maigrissait, ses mains commençaient à trembler. Écrire au chef ? Non, non, non…
    Les prisonniers au secret sombrent doucement dans une durée nue. L'événement, s'il les réveille tout à coup, a l'intensité du rêve. Erchov se vit entrer dans des vastes bureaux du Comité central. Il s'avança, d'une démarche flottante, vers une demi-douzaine de personnes assises autour d'une table couverte de drap rouge. Des bruits de rue, bizarrement amenuisés, parvenaient jusqu'ici. Erchov ne reconnut pas un visage. Le personnage de droite, à profil de rongeur gras, mal rasé, pouvait être le nouveau procureur Ratchevsky… Six visages officiels, abstraits, impersonnels, deux uniformes… « Que je suis débilité, j'ai peur, j'ai terriblement peur… Que leur dire ? Que tenter ? Je vais tout savoir, ce sera écrasant… Impossible qu'ils ne me fusillent pas… » Une tête massive parut se rapprocher de lui : légèrement lunaire, légèrement luisante, tout à fait dépourvue de poils, de minuscules prunelles noires, un tout petit nez rond, une petite bouche ridicule. Une voix de châtré en sortit, qui dit presque aimablement :
    – Erchov, asseyez-vous.
    Erchov obéit. Une chaise restait vide derrière la table. – Tribunal ? Six paires d'yeux le dévisageaient avec une extrême sévérité. Usé, pâli, vêtu de sa tunique dont on avait décousu les insignes, il se sentit sale.
    – Erchov, vous avez appartenu au parti… Ici, comprenez-le bien, les résistances sont inutiles. Parlez… Avouez… Confessez-nous tout, nous savons déjà tout… Agenouillez-vous devant le parti… Là est le salut, Erchov, le salut possible n'est que là… Nous vous écoutons…
    L'homme au visage lunaire, à la voix châtrée, souligna son invitation d'un mouvement de la main. Erchov le considéra pendant quelques secondes avec égarement, puis se leva, dit :
    – Camarades…
    Il fallait qu'il criât son innocence, il s'aperçut qu'il ne le pouvait pas, qu'il se sentait obscurément coupable, justement condamné d'avance mais sans pouvoir dire pourquoi ; et il lui était aussi impossible d'avouer quoi que ce fût que de se défendre. Il ne sut que jeter à ces six juges inconnus un flot de paroles qui lui semblèrent lamentablement désordonnées.
    – J'ai loyalement servi le parti et le chef… prêt à mourir… J'ai commis des erreurs, je l'avoue… les 344 000 roubles de la centrale de Rybinsk, la nomination d'Illenkov, oui, j'en conviens… Croyez-moi, camarades… Je ne vis que pour le parti…
    Les six, sans plus l'écouter, se levaient d'un seul mouvement instantané. Erchov se mit au port d'armes. Le chef apparut, sans le regarder, silencieux, tout gris, le visage dur et triste. Le chef s'assit, la tête penchée sur une feuille de papier qu'il lut attentivement. Les six se rassirent d'un seul mouvement. Il y eut un instant de silence total, même sur la ville.
    – Continuez, reprit la voix châtrée, parlez-nous de votre rôle dans le complot qui a coûté la vie au camarade Toulaév…
    – … mais c'est absolument insensé, cria Erchov… C'est la folie même, non, non, je veux dire que c'est moi qui deviens fou… Donnez-moi un verre d'eau, j'étouffe…
    Alors le chef leva sa vieille tête admirable et monstrueuse des portraits sans nombre, et il dit justement ce qu'eût dit à sa place Erchov, ce qu'Erchov, désespéré, devait penser de lui-même :
    – Erchov, vous êtes un soldat… Pas une femme hystérique. Nous vous demandons la vérité… La vérité objective… Pas de drames, ici…
    La voix du chef ressemblait tellement à sa propre voix intérieure qu'elle rendit à Erchov une lucidité complète et même une sorte d'assurance. Plus tard, il se souvint d'avoir argumenté avec sang-froid, repris tous les éléments essentiels de l'affaire Toulaév, cité de mémoire des documents… Sentant néanmoins

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