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L'Américain

L'Américain

Titel: L'Américain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Franz-Olivier Giesbert
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des flots de chair fraîche. Ses soldats avançaient avec la même expression d’effroi, intérieurement pleins d’un grand silence, sans se préoccuper de tous ceux qui tombaient devant, derrière, à côté d’eux, et souvent en pièces détachées. Derrière eux, la plage était pleine de remords qui ne devaient plus cesser de tourmenter mon père.
    Ce jour-là, il décida que la vie est un mensonge et la mort, la seule vérité du monde. Ce jour-là aussi, il décida qu’il passerait le restant de ses jours en Normandie. C’est maman qui me l’a raconté.
    Quand il arriva en haut de la première dune, au bout de la plage, tout ruisselant d’eau et les brodequins glougloutants, papa aperçut un gros morceau de ciel bleu dans le coton du ciel. Il interpréta ça comme un signe, parce qu’il croyait aux signes. Il ressentit aussi quelque chose qui le grisait, le souffle de la vie vivante, le bonheur de respirer encore. S’il n’avait été lourdement chargé, je crois qu’il se serait agenouillé, comme le Saint-Père, pour embrasser la terre où, désormais, il voulait vivre.

11
     
    Papa était dans le Génie, affecté au déminage, comme toutes les mauvaises têtes. Les jours qui suivirent le débarquement, il passa son temps à rechercher des mines allemandes sur les chemins ou dans les herbes. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il aimait ça, mais il semble qu’il n’en éprouvait pas que du déplaisir.
    Papa ne fut jamais chasseur, mais il avait l’œil. Du nez aussi. Je suis même sûr qu’il reniflait le vent, comme je l’ai souvent vu faire quand il s’amusait à lever les perdrix dans les prés, pour l’amour de l’art. Mon père déminait au jugé et à la main, car il refusait d’utiliser la poêle à frire qui transforma tant de GI’s, induits en erreur, en grumeaux de bouillie rouges.
    Je l’imagine en train de ramper ou d’avancer à pas de loup, tête baissée, en scrutant le sol mouillé de rosée, avec des airs de bête fouisseuse. Il fronce les sourcils et serre les lèvres, comme un enfant studieux. Il est dans son élément. C’est un homme des champs, rempli de vent, de blé, de trèfles, de marguerites et de prairies vertes.
    C’est pour cette raison qu’il se perd si souvent. Il est content, tout seul avec son ciel, à respirer les herbes et les arbres. Il aimerait que toute la guerre soit comme ça.
    Un jour qu’il s’est un peu trop éloigné de son unité, mon père entend le claquement d’une culasse derrière lui. Il se retourne. Un Allemand. Avec une tête noire comme un morceau de charbon. Il sent la haine, et s’apprête à tuer papa avec sa mitrailleuse MG 42, une machine à tirer plus de mille coups à la minute.
    « Tu ne peux pas faire ça, proteste papa en allemand. On est des frères, toi et moi. Regarde. On est les mêmes. On a été fabriqués pareil. »
    C’est un Fallschirmjäger, un chasseur parachutiste. Il jette à papa un regard en biais, avec l’expression de celui qui ne s’en laisse pas conter. Je retranscris librement ici leur conversation telle que me l’a, un jour, rapportée ma mère :
    « D’où es-tu ? demande mon père.
    — De Cologne, répond l’Allemand après un temps.
    — Le berceau de ma famille n’est pas loin. À Neuwied. Tu connais Neuwied ?
    — Oui, j’ai un oncle qui habite là-bas.
    — Tu vois l’église ?
    — J’y suis allé pour le baptême d’un cousin, il y a plus de dix ans.
    — On s’est peut-être rencontrés, alors. J’ai vécu plusieurs mois dans une des maisons à côté. »
    L’Allemand le regarde avec un air de deux airs :
    « Mais t’es américain, non ?
    — Oui, et ça ne m’empêche pas d’aimer l’Allemagne.
    — Tu as une drôle de façon de l’aimer.
    — Je ne me bats pas contre elle, je me bats contre les nazis. »
    Papa lui parle de la Rhénanie où il a fait plusieurs séjours. Edmund Giesbert, son père, en était originaire. Après avoir fui l’Allemagne pour l’Amérique, en 1914, afin de n’avoir pas à faire la guerre du Kaiser, il était souvent revenu au pays, depuis, avec sa femme et son fils aîné. Grandpa racontait qu’il serait volontiers mort pour sa famille ou son village, certainement pas, en revanche, pour sa patrie et encore moins pour ce gros porc de Guillaume II.
    Mon père n’a donc pas à se forcer beaucoup pour étaler sa germanophilie devant le Fallschirmjäger. Il est convaincu que l’Allemagne a tout inventé. La

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