L'Amour Courtois
Il y a continuité du mythe. Mais un problème de
taille demeure : le problème de la virginité de Marie [85] .
Il est en effet hors de doute que Marie, comme la déesse des
commencements, est une mère. Or, biologiquement, une femme, pour être mère, doit
d’abord avoir un rapport sexuel avec un homme, à moins d’en rester à la
croyance primitive des époques matriarcales où le mâle n’avait pas encore
conscience de son rôle – et du rôle de l’union sexuelle – dans la procréation. Ou
alors la Vierge Marie n’est pas une véritable vierge, ou bien elle est
exactement à l’image de l’antique déesse des commencements qui opérait sa
parturition elle-même sans le secours d’aucune entité masculine. Dans le cadre
du christianisme, on nous parle de l’intervention du Saint-Esprit, ce qui apparemment
arrange les choses, mais qui, en réalité, ne fait que reculer la solution du
problème : car comment un esprit, fût-il saint, qui est de nature
immatérielle, peut-il s’unir à un élément matériel sans passer par le processus
habituel de la nature, l’esprit commandant à la matière et celle-ci réalisant
ce que l’esprit demande ?
Reprenons les textes. « Marie, sa mère, était fiancée à
Joseph ; or, avant qu’ils eussent mené la vie commune, elle se trouva
enceinte par le fait de l’Esprit-Saint » (Marc, I, 18). En soi, cela serait
infiniment choquant sans la référence à l’Esprit-Saint. Mais en dehors du récit
des doutes de Joseph et de l’apparition d’un ange, le texte n’en dit pas plus
sur la question. La virginité de Marie, ou sa non-virginité n’ont rien à voir
là-dedans. Et il n’y a nulle mention de la virginité de Marie dans tout l’évangile
de Marc, tout au plus un passage ambigu : « [Joseph] prit chez lui sa
femme, et il ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta un fils » (Marc,
I, 24-25). Cela peut en tout cas laisser supposer que Joseph connut Marie après que celle-ci eut donné naissance
à Jésus, le « fils premier-né » dont parle Luc, et qui pourrait
facilement justifier les « frères » de Jésus, qui sont mentionnés
partout bien qu’on s’empresse de nous préciser qu’il s’agit de ses cousins.
Prenons l’Évangile de Luc, apparemment le mieux informé sur
l’enfance du Christ. On a droit au récit de l’Annonciation, mais si l’ange
Gabriel déclare à Marie qu’elle concevra et enfantera un fils qui sera « Fils
de Dieu » (c’est-à-dire un juif comme tous les autres !), il n’est
nullement question de la virginité de la jeune femme, et, comme le disent les
commentateurs de la traduction en français de la Bible de Jérusalem, « rien
dans le texte n’impose l’idée d’un vœu de virginité » (Luc, I, 30-35). Et le
récit de la naissance de Jésus n’indique rien non plus, sinon que Joseph était
allé se faire « recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte »
(Luc, II, 5), ce qui, en toute bonne foi, est un détail choquant, à moins qu’il
ne s’agisse d’une provocation.
Bref, la virginité de Marie n’apparaît pas dans les
Évangiles. Et ce sont les Pères de l’Église qui ont introduit cette notion dans
le dogme à partir d’un lieu commun de l’Ancien Testament et de toutes les
traditions religieuses, l’image de la Vierge qui doit
enfanter . Mais, au fait, que signifie le mot « vierge » ?
Le mot français provient du latin virgo ,
et a été introduit dans la langue courante à partir du terme religieux qui a commencé
par désigner certaines saintes du calendrier chrétien. Mais le mot latin ne
signifie que jeune fille , sans autre précision,
c’est-à-dire « femme non mariée », sans aucune connotation de
chasteté. Le sens de « jeune fille physiquement pure » ne peut être
rendu que par l’expression virgo intacta . La
racine celtique équivalant à celle qui a donné le latin virgo est * wraki , dont
nous retrouvons les dérivés dans le breton gwreg ,
épouse, et le gallois gwraig , femme. Un autre
dérivé de * wraki a été le celtique * wrakka qui a donné le breton grac’h (ou groac’h ),
vieille femme, puis « sorcière », et nous le retrouvons dans le
gaulois virago qui a été adopté par le latin
avant d’être emprunté tel quel par le français. On peut voir derrière tous ces
mots une antique racine indo-européenne * werg qui signifie « enfermer ». La vierge serait donc la « femme
enfermée sur elle-même », ce
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