L'Amour Courtois
disponible, c’est
que tout est possible avec elle. Ne nous
dit-on pas que la bonne Sainte Vierge est à l’écoute du monde, à l’écoute des
misères du monde, qu’elle est compatissante et
qu’elle intercède toujours en faveur des déshérités, c’est-à-dire de ceux qui
ont besoin d’elle ?
D’ailleurs, aux XII e et
XIII e siècles, il ne manque pas de contes
et de pieux récits pour nous raconter quelque miracle de la bonne Vierge venant
au secours des pécheurs, et plus particulièrement des pécheresses. « La
révérende mère d’une abbaye fort connue s’était trouvée un jour fort ennuyée :
elle avait manifesté envers son confesseur, un pieux ecclésiastique, une affection
quelque peu trop fougueuse, et la pauvre femme venait de s’apercevoir qu’elle
était enceinte. Elle ne savait comment se tirer de cette délicate situation. Mais
la bonne Vierge Marie, qu’elle avait priée, vint à son secours : dans le plus
grand secret la Vierge Marie vint l’assister et l’accoucha d’un beau garçon qu’elle
confia ensuite à un ermite du voisinage pour qu’il l’élevât. » Le conte s’arrête
là et ne dit pas si le beau garçon en question devint moine et perpétua les
tendances passionnelles de ses parents naturels. Mais telle qu’elle est, cette
histoire est révélatrice du rôle que le peuple, c’est-à-dire les fidèles, veut
faire jouer à celle qui est toujours, dans son
inconscient , la déesse des commencements.
Un autre conte est aussi exemplaire. « Une nonne d’un monastère,
qui assumait les fonctions de portière (fonction peu glorieuse au regard des sœurs
dites de “chœur”), en eut un jour assez de son travail et du monastère lui-même.
Elle déposa sur l’autel de la chapelle les clés dont elle avait la charge, et s’en
alla en ville où elle mena la vie plus ou moins joyeuse d’une prostituée. Pourtant,
quelques mois après, elle commença à s’ennuyer de cette existence mouvementée
et peu sûre, et se prit à regretter la tranquillité du couvent. Elle y retourna,
frappa à la porte, et lorsque la sœur portière lui ouvrit en lui demandant son
nom, elle se souvint qu’elle s’était appelée sœur Agathe. La portière lui dit
qu’elle le savait très bien, car elle était une sainte et digne femme. Toute
surprise, la pécheresse repentie regarda la sœur portière de plus près, et elle
s’aperçut alors que c’était la Sainte Vierge en personne, laquelle, pendant son
absence, était venue la remplacer au couvent afin que tout le monde ignorât sa
fuite. » Cette belle histoire se veut édifiante. Mais ce qui est indéniable,
c’est qu’il y a identification entre la Sainte Vierge et la pécheresse.
La Vierge est aussi la
Prostituée.
Lorsque l’ange Gabriel vient trouver Marie et lui déclare qu’elle
va concevoir, Marie répond immédiatement : « Je suis la servante du
Seigneur. » Elle n’a pas l’ombre d’une hésitation, ce qui est normal, étant
donné qu’elle est disponible (pour ne pas dire
« prostituée », ce qui serait malséant). Mais s’est-on jamais demandé
ce qui serait arrivé si, au lieu de l’ange Gabriel, cela avait été l’Ennemi en
personne, le vieux Sammaël, autrement dit Satan, le diable, celui qui se jette
en travers ? Qu’aurait donc répondu la timide Marie à l’ange infernal ?
Qu’on pense donc à la légende de Merlin : l’enchanteur est né de la copulation
d’une sainte femme (une vierge bien entendu) et d’un démon incube. Le tout est
de trouver une femme qui soit vierge , c’est-à-dire disponible .
La Vierge est aussi la
Prostituée. Mais c’est une prostituée sacrée , et
c’est cela qui est particulièrement dangereux, car cette fonction, inscrite
dans l’inconscient, mais refusée par la nouvelle conscience de la société
chrétienne androcratique (la Trinité est seulement masculine), risque de
troubler un ordre public et moral qu’on s’est donné beaucoup de mal à établir
sur les ruines d’une Antiquité qui avait perdu tout sens des valeurs
transcendantales. Et « tout ce que Marie n’a pas pu reprendre de la figure
sombre et destructrice de la déesse, et principalement son culte sexuel, les
Pères de l’Église, puis les conciles, les théologiens et les prédicateurs l’ont
repris en lui donnant l’aspect d’une figure vivante, spirituelle qui s’oppose à
la Vierge et à Dieu : Satan [87] . » D’où la
représentation si commune de
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