L'Amour Courtois
Aphrodite ou Vénus, qui étaient
toujours prêtes à envahir la Terre sainte, et dont les cultes plus ou moins
érotiques contredisaient la rigueur affichée dans le Temple de Jérusalem. On ne
détruit jamais une croyance, on la modifie et on la détourne. C’est ce qu’ont
fait les Pères de l’Église : ils ont essayé de lutter contre l’antique
déesse des commencements, mais celle-ci a survécu et s’est matérialisée de
nouveau sous les traits de la sainte Église, puis de la bienheureuse Vierge
Marie ; alors, ne pouvant l’extirper complètement, ils l’ont reprise à
leur compte, se réservant le droit de l’aseptiser et de lui donner l’aspect qu’ils
voulaient. Voilà, brièvement résumée, la genèse du culte marial qui allait
trouver son triomphe et son épanouissement au cours des XII e et XIII e siècles.
Ce fut d’abord le concile d’Éphèse, en 431. Ce concile
décida de reconnaître à Marie, mère de Jésus, le titre de Théotokos , c’est-à-dire de « génitrice »
de Dieu. À vrai dire, le titre n’était pas nouveau puisque c’était celui de l’antique
déesse-mère d’Éphèse. Car ce n’est pas un hasard si ce fut le concile d’Éphèse
qui reconnut officiellement Marie comme mère de Dieu. Éphèse était en effet la capitale incontestable du culte de
la déesse-mère , qu’on honorait précédemment sous le nom d’Artémis, la
célèbre Diane scythique, cruelle et bonne à la fois, vierge et sensuelle, divine
et humaine, inaccessible et proche, image à peine travestie de la divinité
solaire féminine des premiers Indo-Européens combinée avec celle, plus lascive,
de la déesse mésopotamienne de la sexualité, de la beauté et de l’amour.
Cette déesse-mère d’Éphèse était trop puissante et présente
encore dans les esprits pour qu’on pût l’éliminer. On
la récupéra pour les besoins de la cause. On découvrit alors miraculeusement
les endroits où Marie, mère de Jésus, avait résidé à Éphèse, et on se chargea
de les exploiter. Mais, en fait, tout cela ne s’appuie que sur de vagues
traditions incontrôlables qu’aucun texte des Écritures canoniques ne vient
confirmer. L’essentiel était de démontrer à la face du monde que la grande
déesse n’était plus Artémis (ou Astarté, ou Tânit, ou Vénus…), mais la Vierge
Marie, mère du Sauveur, même si on lui enlevait un peu de sa divinité pour en
faire simplement le « Temple » de Dieu.
On sait que le concile d’Éphèse a pleinement réussi dans le
but qu’il s’était fixé. Cette décision officielle de l’Église romaine allait
donner une puissante impulsion au culte de la Vierge Marie. « On vit
apparaître de prétendus portraits de la Vierge. L’un d’eux, l’Hodegetria, attribué
à saint Luc, fut envoyé, dit-on, par l’impératrice Eudoxie en 438 ap. J. -C.,
et destiné à sa belle-sœur Pulchérie, qui la plaça dans l’église de
Constantinople. L’icône fut l’objet d’une vénération toute particulière pendant
des siècles, au point que l’armée la transportait sur un char lorsqu’elle
partait en campagne contre l’ennemi, comme on l’avait fait auparavant avec l’effigie
de Cybèle. Au début du V e siècle, on se
mit à lui consacrer des églises, et, au VI e siècle,
les Madones à l’enfant Jésus étaient devenues l’un des sujets favoris de l’iconographie
chrétienne. On utilisait les mêmes couleurs symboliques qui avaient servi à la
représentation des icônes de la déesse ; même l’accoutrement semblait
familier : Marie porte une couronne d’étoiles et un manteau étoilé, elle a
les pieds posés sur la lune et rappelle étrangement les effigies d’Aphrodite ;
elle porte parfois un épi de maïs comme la Vierge aux Épis ( Spica Virgo ), ou s’accompagne de la colombe chère à
Ischtar, piétinant le serpent qu’on avait jusque-là invariablement associé aux
représentations de la déesse ; son histoire fourmille de légendes qui
avaient été autrefois celles d’Ischtar ou de Junon [82] ».
Les mythes ont la vie dure, probablement parce qu’ils représentent la seule
réalité de la pensée qui soit éternelle.
On ne parle pas au peuple un langage qu’il ne comprend pas. Si
le peuple veut certaines images, on les lui fournit, quitte à en modifier le
sens originel. « Bien que dirigée de l’intérieur même du christianisme, cette
dévotion résume en elle un triple courant : juif (la fille de
Weitere Kostenlose Bücher