L'Amour Courtois
la Vierge qui écrase la tête du serpent ou du
dragon. D’où la parabole des vierges sages et des vierges folles. D’où, même en
astrologie, l’opposition – mais aussi la complicité – entre le signe de la
Vierge et celui du Scorpion, la Vierge prenant une certaine ambivalence (Vierge
pure ou Vierge-Scorpion) qui démontre la difficulté qu’on a à la considérer
autrement que dans sa totalité de déesse des origines.
Mais à force de chasser la déesse, on la fait revenir avec
plus de force et de puissance. Son aspect lumineux devient donc l’objet d’un
culte prodigieux sous le vocable de Notre-Dame, et c’est tout juste si on ne
lui donne pas un rang divin. Quant à son aspect obscur, il revient, lui aussi, avec
autant de force, mais de façon très marginalisée. « Les procès de
sorcellerie du Moyen Âge nous révèlent un curieux ensemble de croyances et de
pratiques où des réminiscences païennes se mêlent à des éléments chrétiens. Le
sabbat des sorcières avait lieu dans des endroits déserts sous l’invocation de
Diane et de Lucifer, qui joue le rôle d’un dieu de la Lumière et du Soleil. Le
dualisme est ici à la fois astral et sexuel : la connexion est sensible
entre Diane, les sorcières, la lune et la nuit. Le sabbat rappelle les anciens
mystères et l’orgie qui le termine l’apparente aux anciennes cérémonies du
culte de la grande-mère [88] . » En somme, l’antique
déesse solaire avait dû se réfugier dans l’obscurité complice de la nuit, et
elle était devenue déesse lunaire, tandis que Lucifer, le « Porte-Lumière »,
nom qui désignait l’étoile du Matin à l’origine, devenait le dieu mâle solaire,
le dieu du soleil, mais d’un soleil noir .
Ce patronage du sabbat par Diane et Lucifer est exemplaire. Diane
est l’Artémis des Scythes et des Grecs. Dans la mythologie romaine, elle est
devenue la Diane Chasseresse, mais aussi la « Chaste » Diane, celle
qui refuse les hommes, mais qui, par contre, les attache à son service. Diane
est donc un des aspects de la Vierge. Quant à Lucifer, ne pouvant pas ressortir
la vieille image du Bélénos gaulois, dont le nom signifie « brillant »,
on lui confère l’aspect inquiétant et monstrueux – parce que marginal – du
Sammaël biblique, c’est-à-dire de Satan. Ainsi se trouve formé un couple infernal dont le modèle hébraïque est
incontestablement celui de Lilith et de Sammaël.
« Dans le sabbat, plus que partout ailleurs, le diable
devient le dieu de la sexualité et les “sorcières” en sont les hiérodules, les
prostituées sacrées. Satan a pris avec lui tout le culte sexuel de l’ancienne
déesse. Car le sabbat est l’héritier des cultes sexuels de jadis, en l’occurrence
le culte de la grande déesse. La messe noire, elle, exprime
la rédemption totale et jusqu’à la médiation rédemptrice de la femme .
Elle est le sacerdoce, elle est l’autel, elle est l’hostie dont tout le groupe
communie [89] . » Et là, très nettement,
la Vierge est aussi la Prostituée.
Mais il semble bien qu’à l’origine le couple infernal ait fait partie d’une triade divine.
Lilith et Sammaël ne sont pas seuls, puisqu’il y a Adam. D’après la tradition
hébraïque, soigneusement expurgée à l’époque mosaïque, Lilith était la première
femme d’Adam, et s’étant querellée avec lui, elle avait pris la fuite, formant
un autre couple avec l’Ennemi, le mystérieux Sammaël, qu’on a ensuite identifié
au serpent de la Genèse. En somme, on retrouve ici de manière archétypale le
fameux « triangle » de l’amour courtois : la dame entre son mari
et son chevalier-amant.
C’est sur cette notion archétypale du « triangle »
qu’il convient de s’arrêter afin de mieux en comprendre le sens et la portée. La
première image qui s’impose est donc celle d’Adam-Lilith-Sammaël, mais elle est
faussée dans notre mémoire du fait que Lilith a été occultée, rejetée dans les
ténèbres, au profit d’Ève. Alors se dessine la nouvelle image du triangle :
Adam-Ève-serpent. Mais là aussi, tout a été faussé, car les rédacteurs de la
Genèse, en voulant occulter définitivement l’ aura sulfureuse de Lilith, ont donné à Ève un rôle inférieur : Ève apparaît en
effet comme singulièrement soumise et faible par rapport à l’altière Lilith, la
révoltée, celle qui n’accepte pas l’ordre mâle et qui le fait savoir. Ève, au
contraire, c’est
Weitere Kostenlose Bücher