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L'Amour Courtois

L'Amour Courtois

Titel: L'Amour Courtois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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certaine
supériorité. D’où le neuvième précepte : «  Sois
toujours attentif à tous les commandements des dames . » Les héros
des récits romanesques en savent quelque chose, eux qui, à la recherche de leur
dame enlevée par un méchant seigneur ou un géant monstrueux, se trouvent
toujours détournés de leur mission essentielle par le service qu’ils doivent aux
dames et aux pucelles en difficulté qu’ils rencontrent sur leur chemin. Il n’y
a pas trahison envers leur dame, il y a perfectionnement de cette approche de
la dame par les prouesses que l’on est amené à accomplir pour le service des
autres. C’est là une grande leçon de solidarité et de fraternité que nous
propose la théorie courtoise. Et cela explique le dixième précepte :
«  Tâche toujours d’être digne d’appartenir à la chevalerie
d’amour . » Et le onzième est de même nature «  En toute circonstance, montre-toi poli et courtois.  »
    Ce sont les deux derniers préceptes, le douzième et le treizième,
qui sont peut-être les plus obscurs, ceux qui, du moins peuvent prêter à des
interprétations contradictoires, tant leur imprécision est grande, voulue
semble-t-il, comme pour laisser plus de latitude à celui qui désire faire son
entrée dans la chevalerie d’amour. Les voici : «  En t’adonnant aux plaisirs de l’amour, n’outrepasse pas le
désir de ton amante  », et «  Que tu
donnes ou reçoives les plaisirs de l’amour, observe toujours une certaine
pudeur  ».
    Si l’on comprend bien, dans la relation amoureuse ainsi définie,
l’initiative revient exclusivement à la femme. C’est là que réside la
révolution du XI e  siècle. La femme n’est
plus l’objet des plaisirs de l’homme comme elle l’était, à la fois dans l’Antiquité
classique et dans les débuts du Moyen Âge chrétien (avec d’ailleurs les
réserves que l’on sait et la référence précise aux nécessités de la procréation),
mais devient en quelque sorte la meneuse de jeu. Le désir de l’amante prime
tout, et le désir est un ordre. L’amant ne doit jamais prendre l’initiative, il
doit se contenter de répondre au désir de la dame. Sans en avoir l’air, cela
rappelle le fameux débat que la légende hébraïque nous présente à propos de la
mystérieuse Lilith. Celle-ci, d’après des traditions qui ont toutes les chances
d’être fort anciennes, était en fait la première Ève, la première femme donnée à Adam. Mais elle n’avait pas supporté d’être donnée [10] , et elle s’était violemment
querellée avec Adam quant à la position qu’elle et lui devaient prendre dans le
coït, la femme dessous ou la femme dessus ? Si l’on se réfère à la fameuse
position dite du « missionnaire », la société androcratique tient à
préciser par tous les moyens la supériorité de l’homme sur la femme, tout au
moins son rôle actif, la femme étant reléguée à une passivité voisine de la
résignation. La révolte de Lilith, revendiquant le droit d’être dessus, est un
élément symbolique de renversement des valeurs, tout au moins de tentative pour
établir l’égalité des sexes. On sait que Lilith, ne pouvant obtenir
satisfaction, quitta Adam, enfreignant ainsi les ordres divins. Poursuivie par
les anges du Seigneur, elle échappa à l’anéantissement parce qu’elle connaissait
le nom ineffable de Dieu, connaissance qui lui donnait le droit d’exister
envers et contre tout. C’est pour cela que Dieu en fit l’épouse – ou la
compagne, allez savoir, de Sammaël, c’est-à-dire l’Archange déchu, Satan, ou le
Diable. Nul doute que le Malin eut la présence d’esprit de donner satisfaction
aux justes revendications de Lilith, quitte à en tirer de substantiels
bénéfices. Ainsi s’instaurait, dans la fable tout au moins, une nouvelle
formulation du couple.
    Le douzième précepte, même s’il est vague et s’il reste dans
de « courtoises » limites, n’en est pas moins explicite de cet état d’esprit.
Il est incontestable que nous ne pouvons y voir qu’une des images, rassurante
il est vrai, du couple infernal Lilith-Sammaël.
Il n’y entre aucune connotation d’ordre moral. Tout se passe sur le plan du
psychisme, mais cela débouche sur une interprétation sociale : l’élément
qui décide n’est plus l’homme, mais la femme, et c’est là la transformation
radicale qui se manifeste dans le rapport amoureux.
    Non seulement ce nouveau type de

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