L'Amour Courtois
aussi bien pour cause la vengeance, comme
dans le cas des fils de Tuirenn envoyés par le dieu Lug en quête d’objets
impossibles à trouver en compensation du meurtre de son père par Tuirenn, ou la
passion amoureuse d’une femme, comme la jeune Grainné entraînant par ce moyen
le beau Diarmaid – qui ne l’aime pas – à l’enlever et à s’enfuir avec elle. Le
cas du chevalier breton appartient à cette dernière catégorie : la dame
dont il est amoureux lui lance en quelque sorte un défi magique, rapporter
quelque chose d’impossible. Et s’il réussit, la dame pourra lui accorder son
amour sans arrière-pensée, sans déchoir de son rang, puisque celui qu’elle a
choisi se sera montré digne d’elle, puisqu’il aura prouvé ainsi son appartenance
à la « chevalerie d’amour ».
Il ne faudrait cependant pas croire que la quête est facile,
et qu’elle n’est pas dangereuse. C’est alors que se fait jour l’idée d’initiation.
Jamais le héros ne peut réussir sa quête s’il n’est pas aidé, guidé , par un être supérieur, humain, divin ou
entité spirituelle revêtant diverses apparences. Le thème est fort répandu, et
il est souvent relié à l’initiation chamanique : dans le phénomène de l’extase,
c’est-à-dire du voyage de l’apprenti-chaman dans l’Autre Monde, le néophyte est
toujours surveillé par un maître qui lui indique le chemin et qui lui évite de
tomber dans les redoutables pièges de l’univers fantasmatique. S’il n’y avait
pas cette surveillance, cette « aide », l’apprenti-chaman ne pourrait
réussir son cheminement, et en tout état de cause, il ne reviendrait pas du
voyage, sombrant dans la folie ou la mort.
Ce thème du guide, nous le retrouvons sans cesse dans les
contes oraux de la tradition populaire. Généralement, il s’agit de trois frères
qui, chacun à leur tour, quittent leur famille et s’en vont chercher fortune. Dans
une forêt, ils rencontrent une vieille femme qui porte péniblement un fagot et
qui leur demande de l’aider. Les deux aînés refusent, ou injurient la vieille
femme. Celle-ci les maudit. Mais le plus jeune lui porte son fagot, et la
vieille femme lui révèle alors ce qu’il doit faire pour réussir ce qu’il veut
entreprendre [13] . Parfois, c’est un « sorcier »
qui prend une forme animale et qui suit le héros dans ses pérégrinations afin
de le conseiller et de le tirer d’affaire en cas de besoin [14] .
Parfois encore, ce sont des animaux qui ont été épargnés par le héros qui
viennent à son secours [15] , ou encore l’âme d’un
défunt que le héros compatissant a fait enterrer alors que son corps était
abandonné [16] . De toute façon, il y a
échange entre le héros et celui ou celle qu’il rencontre, le modèle du genre
étant le célèbre Koadalan de la légende bretonne qui délivre une jument-fée de
l’emprise diabolique d’un sorcier et qui reçoit en retour tous les signes qui lui
permettront d’accéder à une véritable initiation [17] .
Car l’essentiel n’est pas, pour l’initiateur, d’accomplir
les actions à la place de l’initié, mais d’indiquer clairement quelles sont les
étapes à franchir et les dangers à éviter. Le héros est incapable par lui-même
de repérer les signes qu’il rencontre et qui
sont pourtant inscrits devant lui ou autour de lui. L’intervention de l’initiateur
consiste seulement à ouvrir les yeux du héros à une vision profonde de l’univers,
mais à aucun moment le libre arbitre de ce héros n’est remis en question :
à lui de savoir ce qu’il veut ou ne veut pas, à lui de voir ou de ne pas voir, à
lui de faire ou de ne pas faire.
En l’occurrence, dans le récit de Le Chapelain, le rôle de l’initiateur
est tenu par une jeune fille d’une très grande beauté. C’est évidemment une fée,
un des aspects de la divinité féminine que le héros veut atteindre, son double
en quelque sorte, mais à la mesure de sa connaissance encore insuffisante. C’est
le rôle que tiennent les nombreuses « pucelles » rencontrées par Lancelot
et les autres chevaliers d’Arthur quand ils se lancent dans des aventures
hasardeuses. On sent bien que sans cette initiatrice, le jeune chevalier breton
ne réussirait pas son épreuve, c’est-à-dire rapporter l’épervier de la cour d’Arthur.
Et la jeune fille de lui révéler comment il pourra s’emparer de l’animal :
« Vous ne pourrez obtenir l’épervier sans
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