L'Amour Courtois
dans le personnage de Batraz, héros de
la tradition des Scythes. Mais, quelles que soient les héroïnes des récits, quelle
que soit la dame chantée par un troubadour, on discerne nettement, à travers
les contours vaporeux de la châtelaine médiévale, un modèle unique, celui qui s’incarne
dans de multiples épisodes de la grande épopée des Celtes.
La figure centrale semble être la mystérieuse Dana ou Danu
en Irlande et Dôn au Pays de Galles. Les aventures de cette incontestable mère
divine ne sont point contées, et nous ne la connaissons que par les grands
dieux qui sont ses enfants. En Irlande, les Tuatha Dé
Danann , ou tribus de la déesse Dana, passent pour avoir introduit le « druidisme
et la sorcellerie » chez les Gaëls. Ils venaient des « îles du nord
du monde », formulation symbolique bien entendu, mais qui marque quand
même le caractère nordique de cette religion. À côté des personnages masculins
comme Ogma, Dagda, Diancecht ou Mananann, on trouve des figurations féminines
aux noms divers, souvent présentées sous forme de triades, ou de déesses aux
trois visages, et qui sont toutes des aspects socialisés et relativisés de l’antique
Dana. Ainsi verrons-nous la Morrigane (la « Grande Reine »), Bodbh (la
« Corneille »), Macha (la « Jument »), Boann (« la
Vache Blanche »), éponyme de la rivière Boyne (qui se retrouvera ensuite
dans la Viviane-Niniane, la « Dame du Lac » des romans arthuriens), et
surtout Brigit (la « puissante », ou la « haute ») qui
correspond très étroitement à la Minerve gauloise décrite par César, et qui sera
ensuite plus ou moins confondue avec la « sainte » Brigitte de
Kildare, sans compter les innombrables avatars de cette déesse, les Éithné, Étaine et autres Medbh [71] .
La Dôn galloise est également la mère des principaux dieux, mais
ceux-ci sont présentés sous un aspect beaucoup plus folklorique : Gwyddyon,
le magicien, Amaethon, le laboureur, Gilvaethwy (qui deviendra le Girflet des
romans arthuriens) et Arianrod (la « roue d’argent »). Dôn est un nom
qui peut provenir d’un ancien duna signifiant « profonde »,
mais le rapport étymologique avec Dana est certain : et curieusement, la
tradition galloise rapporte des généalogies remontant à une certaine Anna, plus
ou moins confondue avec la sainte Anne du christianisme. Il faudrait signaler
qu’au Pays de Galles, il y a d’autres familles de dieux et de déesses, rattachées
à la tradition irlandaise. Parmi elles, on trouvera Branwen, fille de Llyr et sœur
de Brân le Béni, dont le nom signifie « corbeau blanc », et qui est
une sorte de déesse de l’amour bien repérable dans la Brangwain de la légende
de Tristan, puis encore Rhiannon (la « Grande Reine »), équivalent de
Macha et qu’on reconnaît dans l’Épona gallo-romaine, et Keridwen, l’initiatrice
du barde Taliesin, dont le nom se rattache à la racine indo-européenne qui a
donné la grecque Korê (Perséphone) et la Cérès latine.
Il y a dans tout cela des constantes, en particulier l’importance
de la famille de Dôn-Dana. On a remarqué que, dans l’ensemble des traditions
européennes et proche-orientales, la déesse des commencements portait des noms
se référant à deux types principaux : « Le premier, défini par l’équivalence
Artémis = Ardvî, est commun à la Grèce et à l’Iran ; le second, qui paraît
dériver d’un original Tanaï/Nanaï, va du monde sémitique à l’Iran et à l’Inde [72] . »
Il faudrait élargir le champ d’investigations vers l’Extrême-Occident, car
Dôn-Dana se rattache incontestablement à ce type. Et puis, « le fait que
certains noms désignaient à la fois la grande déesse et l’eau en général, ou
des fleuves importants comme le Don ou le Danube, confirme ce que le mythe des
Danaïdes avait suggéré : la déesse personnifiait en même temps la Terre
féconde et les Eaux fertilisantes [73] ». Cette remarque
est particulièrement importante, car elle met en évidence l’aspect bi-sexuel de la déesse des commencements, celle
qu’on retrouvera plus tard dans le personnage de Mélusine, la femme à queue de
serpent, image à peine déguisée de l’androgyne primitif, et aussi modèle éclaté
de la Vierge qui enfante sans l’intervention d’un dieu mâle [74] .
Dans le domaine celtique, la déesse, quel que soit son nom, tend
à prendre certaines caractéristiques qui sont dues à
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