L'Amour Courtois
de la femme, image « folklorique »
de la déesse des commencements, est exprimée très clairement et au premier
degré dans certains récits. Mais un phénomène curieux se fait jour : même
dans les textes les plus « païens », on a tendance à revêtir cette
initiatrice d’un aspect marginal et inquiétant pour ne pas dire franchement
diabolique. Ainsi apparaissent des personnages de sorcières dans la tradition
galloise, et de « femmes-guerrières » dans la tradition irlandaise.
Un épisode du récit de Peredur ,
qui est le Perceval gallois, nous montre en
effet le héros, au cours d’une des nombreuses aventures qui parsèment sa quête,
amené à combattre une sorcière. Celle-ci, pour obtenir la vie sauve, propose à
Peredur de l’emmener avec elle « chez les sorcières » afin qu’il soit
initié dans le métier des armes. Il accepte et reste trois semaines à la cour
des sorcières située à Kaer Lloyw (actuellement Gloucester), ce qui n’est pas
un endroit innocent puisque le nom signifie la « Ville de Lumière ». En
quelque sorte, Peredur va trouver l’illumination chez les sorcières de Kaer
Lloyw, ce qui lui permettra, à la fin de l’histoire, de massacrer lesdites
sorcières, puisqu’il n’a plus besoin d’elles, ayant réuni en lui tous les secrets
dont elles étaient les dépositaires et les dispensatrices : Peredur
revient donc de Kaer Lloyw transformé, maturé, en pleine possession de ses
facultés guerrières et sexuelles, les deux thèmes étant incontestablement liés.
Dans la tradition irlandaise, ce sont également des
femmes-guerrières aux allures de sorcières qui recueillent, élèvent et éduquent
le jeune Finn Mac Cumail, faisant de lui un redoutable guerrier et le farouche
roi des Fiana . Mais le plus intéressant
concerne le héros Cûchulainn qui, dans une certaine mesure, se présente comme
un des archétypes de Lancelot du Lac. Dans sa jeunesse, il va en effet devoir
se perfectionner dans le métier des armes, et on l’envoie en Écosse auprès de mystérieuses
femmes qui enseignent aux jeunes gens des tours guerriers en même temps qu’elles
développent en eux la pratique sexuelle. Il s’agit sans doute du souvenir d’une
époque antérieure aux Celtes, où les sociétés autochtones de l’Europe
occidentale étaient à tendances gynécocratiques et où le culte de la grande
déesse était encore prépondérant. Sans cette hypothèse, il est difficile d’expliquer
et de justifier ces étranges femmes-guerrières aux pouvoirs magiques qui sont
les seules à pouvoir initier les futurs guerriers.
Deux textes, l’un très archaïque, la
Courtise d’Émer , l’autre plus récent mais plus détaillé, l’Éducation de Cûchulainn , nous racontent cette
initiation du héros auprès de différentes femmes-guerrières. L’épisode le plus
important se situe chez une certaine Scatach, dont le nom signifie à la fois « celle
qui fait peur » et « celle qui protège », laquelle a une fille
du nom de Uatach, ce qui signifie « la très terrible ». Voici donc
Cûchulainn en route pour la demeure de Scatach. Il rencontre des jeunes gens
qui s’exercent au lancer et se fait guider par eux. Ils parviennent ainsi à un
pont magique, le Pont des Sauts, qui n’est certes pas sans rapports avec le
Pont de l’Épée que doit franchir Lancelot pour pénétrer dans le royaume de Gorre :
« Quand on sautait sur le pont, il rétrécissait jusqu’à devenir aussi
étroit qu’un cheveu et aussi dur et glissant qu’un ongle. D’autres fois, il se
relevait aussi haut qu’un mât. » Le thème est intégralement chamanique et
concerne ces ponts dangereux que le chaman doit passer avant d’atteindre l’Autre
Monde, dans ce phénomène de l’extase qui caractérise si bien cette tradition
venue de la nuit des temps.
Cûchulainn essaye de sauter de façon à éviter l’épreuve. Mais
il glisse et retombe sur le dos. L’épreuve apparaît donc comme indispensable. Mais
durant ce temps-là, Scatach, en compagnie de sa fille Uatach, observe tout ce
qui se passe du haut de sa maison. Uatach « avait les doigts blancs, les
sourcils noirs […] Quand la fille vit le jeune homme, elle lui donna l’amour de
son âme ». Cûchulainn est déchaîné. Furieux d’avoir manqué son saut, et
vexé des quolibets des jeunes gens, il se surpasse : « Il sauta en l’air
en se balançant, comme s’il était dans le vent, de sorte que, d’un bond
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