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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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filet, vers le toit de service, il apercevait Babet à travers le treillage des ouverts, grillagés pour garantir les spectateurs. Coupée à la taille par le mur bas, on ne la voyait qu’en buste. L’obscurité régnant dans la galerie rendait cette silhouette plutôt confuse, mais Bernard l’identifiait aisément à l’éclat du décolleté large, laiteux dans la pénombre. Il eût été difficile aussi de ne pas reconnaître le rire avec lequel elle répondait aux fortes galanteries des hommes jeunes et vieux, vite attirés autour d’elle, ce rire un peu roucoulant, avec un fond acide comme un vin de pierraille. Peu de femmes venaient ici, aucune de bonne réputation. L’atmosphère assez brute où paraissait à cru la liberté des hommes entre eux, cette chaude odeur de la force mâle, ces gaillards suant de leurs efforts, l’évidence de l’effet qu’elle produisait sur eux : tout cela formait un concert bien choisi pour plaire à une fille comme Babet. Nulle autre n’aurait eu comme elle le sentiment que tout lui était permis – au point de s’avancer, dans l’ouvert, jusqu’à la porte, jusqu’à côté du marqueur, pour applaudir ostensiblement Bernard, provoquant du même coup une émulation générale. Ce manège, dont il sentait l’ironie, l’agaçait. Il n’en éprouvait pas moins le désir rageur de montrer à cette moqueuse créature de quels exploits il était capable, et de lui imposer, au moins là-dessus, le respect. Si, pour avoir voulu trop bien faire, il perdait une chasse, un avantage ou un jeu, il enrageait contre elle.
    Elle l’irritait encore avec sa façon de le poursuivre et en même temps de le rebuter par ses perpétuelles railleries, quand il eût peut-être cédé à l’instinct qui lui avait confusément montré en elle le remède à son mal. Par moments, elle l’exaspérait.
    « Ah ! lui lançait-il en faisant claquer ses doigts, je suis bien sot de supporter ta compagnie ! Va donc retrouver tes plants ! Je ne veux plus te voir. »
    Néanmoins, à mesure que s’avançait l’automne, ils se rencontraient de plus en plus fréquemment, le soir, dans l’impasse, après le souper. Les jours s’accourcissant très vite, c’était déjà – la demie de cinq heures à peine sonnée – le moment partagé entre la lumière et les ténèbres. Les toits des maisons plus ou moins hautes découpaient des créneaux encore blonds sur le ciel encore vert, à peine rosi par la brume montant de la Vienne. Dans l’impasse, l’ombre sortait des murs au pied desquels elle s’était resserrée. Elle semblait sourdre du torchis, entre les rectangles des fenêtres dont certaines s’éclairaient faiblement à travers leurs petits carreaux.
    Sans se donner le mot, Bernard et Babet évitaient le centre de la cour où la clarté résistait encore. Contre la remise Montégut s’entassaient de vieux emballages dont Bernard ou Jean-Baptiste faisaient du bois pour allumer le feu. Bernard avait disposé côte à côte deux de ces caisses. Il s’asseyait là, dans la nuit tombante. Babet venait l’y rejoindre. Elle étouffait son rire. Ils parlaient bas. Les braillements des gamins dans les maisons s’étaient tus. Les bruits ménagers s’éteignaient un à un, en même temps que la plupart des chandelles. Parfois cependant un marmot, tourmenté par quelque colique ou par ses dents, se mettait à hurler. Ou bien un pas résonnait sur les pavés du faubourg, une silhouette confuse passait le porche. Puis le silence se réinstallait. Jusqu’au moment où le père Sage, une lanterne à la main, le déchirait effroyablement en fermant la porte de l’écurie. Les battants poussaient l’un après l’autre un cri de bête égorgée, avant de se clore en un coup sourd. Et, cette fois, c’était la paix.
    Ce qu’il y avait d’humblement dramatique dans cette installation de la nuit retentissait en Bernard sensibilisé par l’épreuve de la douleur. Il eût aimé se taire, attirer contre son épaule la tête de Babet, faute d’y pouvoir appuyer celle de Lise, et s’enfoncer avec sa tristesse adoucie dans l’engourdissement de cette étreinte. Mais Babet n’était ni paisible ni apaisante. Loin de là ! Rien que son parfum eût suffi à rendre tout calme impossible auprès d’elle. À force d’employer chez ses pratiques les poudres, les onguents, les eaux de senteur, elle restait imprégnée d’une odeur capiteuse où dominaient les deux plus tenaces relents : celui du

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