L'Amour Et Le Temps
l’avait admirée à Trianon.
« Vous êtes venu pour moi ? dit Lise en se levant. Pour moi seule !
— Assurément. J’avais tant besoin de vous revoir ! Et je vous vois plus merveilleuse encore que je vous ai quittée. »
Elle lui tendit les mains, il les baisa avec ferveur. Elle restait étonnée, mais déjà elle se sentait poussée vers lui. Quelque chose de doux et d’ardent lui serrait la gorge, lui faisait battre le cœur.
Claude parlait. Elle n’entendait pas les mots, seulement le ton ; il l’émouvait profondément. Elle regardait les yeux, les traits de son mari. Elle le reconnaissait, pareil à lui-même et cependant transformé par tout ce qui s’était révélé durant leur séparation. Trop surprise, elle ne formait aucune pensée, mais les souvenirs – des souvenirs physiques – remuaient en elle. L’impulsion lentement mûrie qui l’avait fait écrire à Claude se changeait en un élan de toute sa personne. Avec une faiblesse heureuse, elle se laissa aller. « Oh ! Claude, Claude ! » murmurait-elle. Il la serra dans ses bras, et elle renversa vers lui son visage en fermant les yeux.
XVII
Le lendemain, ils allèrent, avec Mariette, la jeune servante, se réinstaller à Limoges, dans leur appartement. Ce fut alors leur lune de miel. « Quelle revanche ! disait Claude. Ici où nous nous sommes fait l’un à l’autre tant de mal ! »
Puis il demanda :
« Et Bernard ?
— Oh ! je l’adore ! répondit Lise radieuse. Je crois que je ne l’ai jamais mieux aimé. Exactement comme il le voulait, comme il m’adore lui-même. »
Elle expliqua ce qui s’était passé entre eux, et de quelle façon il l’avait contrainte à la sagesse.
« Quel grand cœur ! dit Claude avec émotion. Je veux le voir. »
Jusqu’à ce moment, ils n’avaient rompu leur tête-à-tête que pour les parents de Claude. Il fallait reprendre les relations avec tous leurs amis. Avant, Claude alla demander Bernard au corps de garde central, établi au rez-de-chaussée de la maison même, de l’autre côté du couloir, dans la partie qui formait l’angle de la rue des Combes. L’officier de jour dit que Bernard se trouvait pour l’instant de service à la poudrière ; il reviendrait déposer ses armes dans deux heures. Claude lui laissa un billet, lui demandant de monter. Ce message ne surprit pas le jeune homme : il savait, comme beaucoup de gens, que Mounier-Dupré était de retour. Mariette, éblouie de voir de près un si beau militaire, le fit entrer. Lise lui sauta au cou. Claude l’étreignit à son tour.
« Bernard, dit-il, je n’ai pas de mots pour t’exprimer ma reconnaissance et mon affection. Il y a des choses trop grandes. Sache bien que tu es pour moi plus qu’un frère, mon cher ami.
— Merci, dit Bernard en souriant. Je suis très heureux. Votre bonheur est le mien, il me remplit de joie. »
Claude lui serrait l’épaule, ils tenaient chacun une main de Lise.
« Ah ! fit Bernard un peu grisé, si tous les hommes sur la terre s’aimaient comme nous, que le monde serait beau ! que la vie serait douce !
— Oui, dit Claude, c’est cela que nous voulons. Hélas ! on en est encore loin ! mais nous poursuivrons sans répit nos efforts pour y parvenir. »
Le soir même, à l’arrivée du courrier de Paris, on apprenait en ville que le second « accès de révolution » annoncé par le journaliste Loustalot s’était produit. Farne, Barbou en apportèrent la nouvelle chez Nicaut où se trouvait le ménage Mounier-Dupré avec Pierre Dumas et sa femme. Les gazettes, datées du lendemain de l’événement, débordaient de lyrisme patriotique sans donner encore aucun détail : le peuple, annonçaient-elles, était allé chercher à Versailles la famille royale, et l’avait ramenée triomphalement à Paris. Tout cela s’était fait de la façon la plus pacifique.
« J’en doute, observa Claude. Après la prise de la Bastille, on a travesti les choses. Il doit en être de même aujourd’hui. Ces feuilles ne disent certainement pas la vérité. Quand je suis parti, les orléanistes nourrissaient des desseins notoirement criminels. J’ai confiance en Barnave, mais peut-on croire que ses amis aient été assez forts ? »
Les jours suivants des bruits coururent, provenant des salons aristocratiques. Il y avait eu à Versailles, disait-on, des massacres affreux auxquels le Roi et la Reine n’avaient échappé que par miracle. Des hordes
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