L'Amour Et Le Temps
les clefs de la Bastille –, étaient seuls à prôner cette chimère. Les nombreuses feuilles nées depuis le 14 juillet, quelle que fût la violence de leurs attaques contre le veto, contre les accapareurs, contre les « monarchiens », contre les tergiversations du Roi, demeuraient plus raisonnables. On ne pouvait douter néanmoins qu’une nouvelle crise violente se préparât comme le prophétisait Loustalot. Déjà, le 3o août, une espèce de fou : le marquis de Saint-Huruge, à la solde d’Orléans, avait tenté de conduire à Versailles, en pleine nuit, une troupe d’émeutiers. La Fayette avec la garde nationale les avait arrêtés. Saint-Huruge en prison, Desmoulins, après avoir demandé que les députés indociles fussent « brisés et remplacés », se cachait prudemment.
Au milieu de ces agitations, une singulière lassitude s’emparait de Claude. L’Assemblée ayant formé officiellement des comités de travail, il avait été confirmé à celui de constitution et nommé à celui de législation. Il s’y montrait assidu, mais seule une part de lui-même restait à Versailles ; une autre était en Limousin. Il supportait avec une peine sans cesse accrue son éloignement de Lise. Quatre mois qu’il l’avait quittée ! Ils avaient à peine plus longtemps vécu ensemble. En lui, le besoin de la rejoindre éclipsait l’ambition qui la lui avait fait un peu négliger. Si ardent pour la chose publique, si impatient tout d’abord de se placer au premier rang, il voyait à présent avec une sorte d’indifférence le petit Robespierre s’élever peu à peu par sa ténacité, imposer sa personne, sa voix grêle, à force d’obstination, d’interventions, d’inflexibilité sur les principes, tandis que lui, Claude, se confinant dans ses travaux, s’éloignait chaque jour davantage du peu d’illustration qu’il avait eu. À vrai dire, il trouvait là, avec le calme Lanjuinais, Larevellière-Lépeaux, bon vivant, le solide Pétion, Sieyès, Le Chapelier, le sentiment d’accomplir l’œuvre véritable, profonde, efficace et durable, loin du cri des tribunes, des déclamations des partis dont les intrigues commençaient à écœurer les hommes totalement désintéressés, Montaudon en particulier. Il suivait les séances mais ne se manifestait plus guère au club, ou s’il y allait c’était pour jouer au billard dans l’arrière-salle du café, non pour écouter les propos.
« Ce sont paroles de fous, disait-il, de gens qui, sous prétexte d’arranger leur logis, précipitent à qui mieux mieux les meubles par la fenêtre. On nous avait élus pour que nous remettions de l’ordre dans la maison, non pour la démantibuler dans un délire de surenchère. Voilà ce que sont en train de faire tes Barnave, tes Du Port, tes Lameth, à la suite de ce froid imbécile de Sieyès ; il commencera bientôt peut-être à comprendre où l’on va quand on raisonne dans l’abstrait. Il n’y a ici de sérieux que les monarchiens, mais ils seront emportés à la prochaine secousse, et tous ces insensés qui jouent à se dépasser les uns les autres se détruiront tour à tour en détruisant ce que nous avions mission d’améliorer. »
Le désenchantement semblait atteindre la délégation limousine tout entière. Le comte des Cars, depuis juillet, avait laissé la place à son suppléant, le comte des Roys. M. de Reilhac, Naurissane, fuyant la grand-salle où l’on votait sous les menaces des tribunes envahies par des hommes de main déguisés en bourgeois et des femmes payées, travaillaient l’un au comité de législation, l’autre au malheureux comité des Finances qui cherchait une impossible panacée contre le déficit décuplé depuis quatre mois. Tous deux, le lieutenant général comme le maître de la Monnaie, étaient de cœur avec les « monarchiens ». Ceux-ci, en voulant transférer à Tours l’Assemblée, souhaitaient au fond son remplacement par un corps plus pondéré. Les extrémistes aussi – de Desmoulins à Marat : un obscur journaliste, rédacteur de L’Ami du peuple – la réclamaient également, cette dissolution. Les agents orléanistes la préparaient en même temps qu’une attaque sur Versailles. La conspiration de Montrouge recommençait. Mirabeau ne l’ignorait pas, et cette fois la dénonçait en prévenant les amis de la Cour : « Le Roi et la Reine vont périr. La populace battra leurs cadavres. »
Avec sa sensibilité aux impondérables,
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