L'Amour Et Le Temps
car le Roi est trop faible, il se laissera circonvenir à toute occasion par ses mauvais conseillers.
— Il faut bien pourtant lui donner ce droit, répondit Claude, sans quoi il ne serait plus qu’un soliveau. Quelle autorité aurait-il alors pour promulguer les lois et les faire respecter ? Oui, j’ai vu souvent Louis faible, quelquefois même aveugle jusqu’à l’imbécillité, par exemple le jour où il nous a déclaré qu’il ne retirerait pas les troupes concentrées sous Paris. »
Il évoqua la vaine ambassade des Quatre-vingts au château, le 13 juillet, pour demander le renvoi des régiments étrangers et la création d’une garde municipale, l’aller et le retour sous la pluie battante tandis que l’orage grondait au ciel et dans Paris. « Ce jour-là, dit-il, j’ai ressenti du mépris, de la colère, contre le monarque lourdaud qui provoquait l’émeute. Il est bien certain qu’avec un souverain perspicace aucun des événements violents de cette année n’aurait eu lieu, mais il faut se servir des hommes dont on dispose. J’aime encore mieux Louis XVI, faible et honnête, que Philippe d’Orléans, faible lui aussi, et corrompu. Au reste, reprit-il, s’il n’y avait pas eu ces quelques violences, assurément déplorables, y aurait-il eu en revanche tant de sublime enthousiasme, parfois ? »
Entraîné par ses souvenirs, il dépeignit avec éloquence l’admirable élan de la nuit du 4 août. « En ces heures, ajouta-t-il, Louis a été réellement pour nous tous le symbole vivant de notre union, de la liberté, de la France. Cela, nous ne pourrons plus jamais l’oublier. »
Quand ils furent rentrés chez eux, raccompagnés jusqu’à la porte par Bernard, une fois dans leur chambre Lise dit à son mari : « Oui, je te comprends, mon ami. Je l’ai vraiment compris ce soir en t’écoutant : Limoges n’était pas un théâtre à ta mesure. Il te fallait t’échapper d’ici. Tu as besoin de vivre de grandes choses parce que ton âme est grande. Quant à moi, j’ai peur de ce monde que je ne connais pas. Il me semble terrible. »
C’était aborder un problème auquel Claude n’avait pas osé toucher jusqu’à ce moment. Il prit les mains de Lise et lui dit :
« Dois-je entendre, mon cher petit cœur, que tu consentiras à me suivre ? Je l’espérais, je le désire.
— Nous ne pouvons plus nous séparer, répondit Lise d’une voix un peu tremblante. Seulement cela va me faire très mal de partir. Il y a ma sœur. Nous ne nous sommes jamais quittées, nous nous manquerons beaucoup l’une à l’autre.
— Thérèse n’a pourtant pas l’air de t’aimer bien fort, depuis mon retour. »
Elle avait été, pour la première fois de sa vie, absolument furieuse contre Lise en apprenant qu’elle renouait avec son mari. Une scène très vive s’était produite entre elles. Thérèse l’avait traitée de sotte, d’inconséquente, sinon d’ingrate. « Après tout ce que j’ai fait pour toi ! tout ce que j’ai pris sur moi pour te complaire ! pour te faciliter les choses avec ton Bernard ! » Elle n’avait pu résister longtemps aux larmes de sa petite sœur, cependant elle s’était refusée à voir Claude. Décision qui n’avait pas tenu davantage. Sur les instances de Louis, revenu lui aussi pour quelques jours, elle s’était résignée à recevoir le jeune ménage. Louis se défiait de son beau-frère, mais il ne pouvait pas ne point l’estimer, et il savait, lui, par ce que Claude lui avait dit à Versailles, par la façon dont il y vivait tout occupé de Lise, qu’il l’aimait profondément. Louis avait lui-même beaucoup d’affection pour Lise. Il s’efforça de convaincre sa femme qu’elle agirait mal envers les deux jeunes gens si elle traitait Mounier-Dupré en ennemi. Thérèse s’était rendue, tout en restant assez froide vis-à-vis de Lise, et glaciale avec Claude.
« Elle ne te pardonnera jamais, ajouta-t-il, de t’être redonnée à moi.
— Si, dit Lise. Elle est bonne, elle commence à sentir qu’elle a peut-être tort, elle déposerait bientôt les armes en me voyant heureuse avec toi.
— Eh bien, elle viendra te visiter. Pour qui en a les moyens, Paris n’est pas loin d’ici ; en poste, il ne faut guère plus de deux jours. »
Lise se tut, un instant, regardant son mari, les larmes aux yeux.
« Et Bernard ?
— Ne pleure pas, mon petit enfant, répondit Claude en lui baisant les paupières. Je sais.
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