L'Amour Et Le Temps
machine merveilleusement réglée, les cavaliers bleus et blancs, au plumet tricolore, se formèrent en deux escadrons, pour précéder et suivre les voitures. Alors une violente huée s’éleva, tandis qu’une partie de la foule se ruait dans l’espace laissé vide entre les deux corps de cavalerie. Des hommes, sautant à la bride de l’attelage, arrêtèrent le premier carrosse sous le fronton du portail. Du coup, La Fayette se trouvait prisonnier dans la cour. On le voyait caracoler vainement sur le côté de la voiture. Lise, qui avait pu se glisser jusqu’au débouché de la rue du Carrousel, retint mal un sourire en imaginant le dépit du général. Malgré l’admiration et la confiance que professait toujours pour lui Montaudon, elle ne l’appréciait guère plus que ne l’aimaient Desmoulins et M. Danton. Il devait être vert de rage à se voir enfermé de la sorte. Coupés de lui, ses officiers semblaient irrésolus. Ceux de la garde à pied commandèrent mollement aux grenadiers massés devant le Petit Carrousel de dégager le passage, mais les soldats citoyens demeurèrent l’arme au pied, mêlant leurs cris à ceux des gens qui hurlaient : « Point de voyage !… Le Roi à Paris !… Il ne partira pas ! » La grosse Margot faisait chorus.
C’est donc ça, une émeute ! songeait Lise. Si animée que fût la scène, elle n’avait rien de violent. Une harengère en bonnet àpois bleus, blancs, rouges, criait même :
« Vive le roi ! Nous voulons le garder ! La gueuse nous l’enlèverait si nous n’y mettions bon ordre, expliqua-t-elle à Lise. Nous ne la laisserons pas faire, n’est-ce pas, madame ?
— Assurément, madame. »
Sous le soleil, dans l’air frais d’avril, avec les couleurs des uniformes, plus éclatantes sur le fond sombre des maisons et du château dont le dôme central, à quatre pans, coupait le ciel, on n’arrivait pas à prendre au tragique ce tumulte. La note était plutôt au ridicule. Un général impuissant, un monarque consigné par ses sujets !… Ils faisaient reculer les voitures. Aidés par des gardes nationaux, ils les refoulaient dans la cour Royale. On n’apercevait plus La Fayette.
Il n’était plus là, en effet. Par la cour des Princes et la petite rue des Orties, il avait gagné les guichets du Louvre, le quai, le Pont-Neuf. Dubon, qui sortait, le vit passer au galop avec quatre cavaliers d’escorte, tourner court pour enfiler le quai des Lunettes. Brusquement le tocsin se mit à sonner, au loin, sur la rive droite, à Saint-Roch eût-on dit. « Allons, bon ! Qu’advient-il encore ? » bougonna le procureur. Il se hâta, pour rejoindre son poste, au District.
Pendant ce temps, La Fayette arrivait au Palais de justice, où l’Assemblée avait, quelques jours plus tôt, installé, dans les anciens locaux du Bailliage, le directoire du Département. Le général venait demander à Sieyès de faire arborer le drapeau rouge et d’appliquer la loi martiale. Trop tard ! Danton, élu au début de l’année membre du Conseil général du Département, était là, avec son mufle de dogue, sa parole sonore et violente. Il menaçait le directoire. Il apostropha le général, l’accusant de vouloir profiter des circonstances pour mitrailler le peuple.
« Si l’on me refuse la force nécessaire pour faire respecter la loi et le Roi, mon commandement n’a plus de sens ; je l’abandonne », déclara aussitôt La Fayette.
Sur quoi Danton, tordant sa lèvre crevée par la corne du taureau : « Il y a d’autres moyens de faire respecter la loi. Et, ajouta-t-il, il n’y a qu’un lâche pour déserter son poste dans le péril ! »
Contenant sa colère, La Fayette courut au Manège. L’Assemblée refusa de l’entendre, de même que Bailly venu à son secours. Le parti de Barnave, des Lameth, de Duport – et de Claude – n’était pas fâché de voir le Roi retenu à Paris.
Lise, lasse d’attendre, avait quitté les lieux quand La Fayette revint aux Tuileries. Louis XVI, d’abord rouge de colère, qui s’était écrié : « Il serait étonnant qu’après avoir donné la liberté à mon peuple, je ne fusse pas libre moi-même ! » était peu à peu retombé dans son apathie habituelle. Il n’en pensait pas moins. À côté de lui, la Reine, blême, les lèvres serrées, s’efforçait de calmer le petit Louis-Charles qui s’énervait en demandant pourquoi on restait là.
« Sabre au clair ! lança
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